Rappelons pour commencer en quoi consiste une démission pour faute grave dans le chef de l’employeur.

La loi, à travers l’article L.124-10 (2) alinéa 1er du Code du Travail définit le motif grave comme : « tout fait ou faute qui rend immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail ».

Autrement dit, la loi exige que l’incident soit d’une telle gravité que le maintien des relations de travail devienne impossible, les motifs graves invoqués par le salarié pour démissionner devant trouver leur source dans un acte ou une omission de l’employeur.

Constituent ainsi des motifs graves le non-paiement par l’employeur du salaire ou encore le non-respect par l’employeur des règles de sécurité et de santé élémentaires.

Actuellement, aucune indemnité compensatoire de préavis, ni indemnité de départ pour le salarié démissionnaire pour faute grave

Dans le cadre de la démission avec effet immédiat, il est loisible au salarié d’introduire une action en justice afin d’obtenir des dommages-intérêts.

A la condition que le Tribunal du Travail reconnaisse la démission comme justifiée, le salarié peut se voir indemniser de ses préjudices matériel et moral comme en matière de licenciement abusif.

Toutefois, contrairement au salarié licencié abusivement avec effet immédiat pour faute grave, le salarié démissionnaire pour faute grave dans le chef de l’employeur ne peut prétendre ni à l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis, ni à l’octroi d’une indemnité de départ.

La source de cette distinction se trouve :

→ à l’alinéa 1er de l’article L. 124-6 du Code du Travail dispose ce qui suit :

« La partie qui résilie le contrat à durée indéterminée sans y être autorisée par l’article L. 124-10 ou sans respecter les délais de préavis visés aux articles L. 124-4 et L. 124-5 est tenue de payer à l’autre partie une indemnité compensatoire de préavis égale au salaire correspondant à la durée de préavis ou, le cas échéant, à la partie de ce délai restant à courir ».

→ et à l’alinéa 1er de l’article L. 124-7 du même Code, d’après lequel :

« Le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée qui est licencié par l’employeur, sans que ce dernier y soit autorisé par l’article L. 124-10, a droit à une indemnité de départ après une ancienneté de services continus de cinq années au moins auprès du même employeur, lorsqu’il ne peut faire valoir des droits à une pension de vieillesse normale ; la pension de vieillesse anticipée n’est pas considérée comme pension pour les besoins de l’application du présent alinéa. ». 

De manière constante, les juridictions du travail retenaient que ces dispositions ne s’appliquaient pas au salarié démissionnaire alors que les textes ne prévoient pas expressis verbis le droit du salarié à une indemnité de préavis et à une indemnité de départ en cas de démission de sa part, démission déclarée justifiée par la juridiction du travail pour faute grave dans le chef de l’employeur.

Cette solution bien ancrée dans le paysage juridique luxembourgeois pourrait toutefois être remise en cause suite à un arrêt rendu par la Cour d’Appel en date du 22 février 2016.

Deux questions préjudicielles posées à la Cour Constitutionnelle

Dans cette affaire, un salarié ayant démissionné pour faute grave dans le chef de son employeur réclamait que lui soit attribué une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité de départ.

Pour conclure à l’attribution de ces deux indemnités, le salarié fit valoir que l’article L. 124-6 du Code du Travail ne distingue pas entre le licenciement prononcé avec effet immédiat par l’employeur à l’encontre du salarié et la résiliation avec effet immédiat pour motif grave dans le chef de l’employeur à l’initiative du salarié. Le texte viserait dès lors les deux hypothèses de résiliation du contrat de travail et ce serait ce texte qui mettrait à charge de l’employeur l’obligation de payer au salarié qui a procédé à la rupture avec effet immédiat justifiée de la relation de travail une indemnité de préavis.

L’employeur résiste à la demande formulée en arguant qu’aucune disposition légale ne permettrait au salarié qui a résilié le contrat de travail pour faute grave dans le chef de l’employeur de requérir une indemnité de préavis ou une indemnité de départ. « La partie » visée par l’article L. 124-6 du code du travail serait l’employeur et non le salarié.

De même, le salarié n’ayant pas été licencié par l’employeur, l’article 124-7 du Code du Travail ne saurait trouver application, alors qu’il ne prévoit pas la démission du salarié pour faute grave de l’employeur, comme cas d’ouverture à l’octroi d’une indemnité de départ.

Dès lors, le salarié souleva la question de la conformité des dispositions des articles L. 124-6 et 124-7 du Code du Travail au principe d’égalité des citoyens devant la loi consacré par l’article 10bis point 1 de la Constitution.

Dans son arrêt précité, la Cour a fait droit à la demande du salarié et a saisi la Cour Constitutionnelle de deux questions préjudicielles relatives à la conformité des articles du Code à la Constitution.

Le raisonnement de la Cour d’Appel est le suivant :

« Etant donné que la question qui vise une inégalité de traitement des salariés dont le contrat de travail a été résilié avec effet immédiat à l’initiative de l’employeur et dont le licenciement est déclaré abusif par rapport aux salariés qui résilient le contrat de travail avec effet immédiat et dont la démission est déclarée justifiée par la faute grave de l’employeur, alors que dans les deux cas la rupture du contrat de travail est due au comportement fautif de l’employeur, n’est pas dénuée de tout fondement et qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur le moyen de l’appelant relatif à la non-conformité des dispositions incriminées à l’exigence constitutionnelle d’égalité devant la loi, il convient, avant tout autre progrès en cause et en application de l’article 6, alinéa 1er de la loi du 27 juillet 1997, de saisir la Cour Constitutionnelle par voie préjudicielle de la question de la compatibilité des dispositions en question avec l’article 10bis (1) de la Constitution. Comme la question préjudicielle vise deux dispositions différentes par leur objet, à savoir d’une part l’article L. 124-6 du code du travail ayant trait à l’octroi d’une indemnité de préavis et d’autre part l’article L. 124-7 du même code relatif à l’allocation d’une indemnité de départ, il convient cependant de compléter la formulation proposée par l’appelant et de saisir la Cour Constitutionnelle des questions telles que libellées au dispositif du présent arrêt. ».

La décision à venir de la Cour Constitutionnelle pourrait avoir d’importantes conséquences législatives, respectivement pratiques.

Affaire à suivre donc.

Me Pascal Peuvrel
Avocat à la Cour
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Me Franck SIMANS
Avocat à la Cour