15 ans d’ancienneté et un salaire qui plafonne au minimum légal… Julie (48 ans) est agente de service pour une société de restauration de collectivité. Elle travaille dans la cantine d’une entreprise industrielle, près de la frontière belge.

Sa journée commence à 6h00 et dans la cafétéria, elle enchaîne les mises en place de la salle, les nettoyages et remplissages des machines à café.
À l’heure du petit déjeuner et midi, elle passe alors en caisse. Après, c’est à nouveau le nettoyage, et le réassortiment des distributeurs de snacks sur le site de la société. “Je ne suis pas payée à réfléchir“, ironise-t-elle.

Originaire de la région d’Athus, elle travaillait avant dans un Point Chaud à Arlon. Elle réchauffait des paninis, vendait des viennoiseries et des cafés, seule avec sa patronne.
Mais celle-ci perd la vie dans un accident de voiture. Julie se retrouve alors du jour au lendemain sans emploi.

Rapidement, elle rejoint donc ce groupe de restauration collective. Changer de taille d’entreprise et de pays n’a pas été un trop grand bouleversement pour elle : “Encore moins, quand j’ai vu mon premier bulletin de salaires,” sourit-elle, avouant gagner environ 1.950 euros brut.

Revendue avec les meubles…

En janvier dernier, la société est revendue à un groupe américain. Elle reçoit un nouveau contrat de travail, avec des conditions salariales et sociales identiques.
Elle a choisi de ne pas suivre son ancien employeur : pour rester chez ce client, proche de son domicile, pour continuer aussi à servir des personnes qui l’apprécient… Beaucoup sont entretemps devenus des collègues et des amis. “J’habite à 9 kilomètres de mon travail. Et à 48 ans, je n’avais plus envie de recommencer une nouvelle vie, faire plus de trajets, alors que jamais j’ai eu droit à une promotion ou à une augmentation de salaire” précise-t-elle.

Les acquis des pays voisins

Julie a la double nationalité : belge (par son père) et luxembourgeoise (par sa mère). “De ce point de vue, je suis une bonne frontalière, et je me suis toujours sentie comme telle“. Quand on lui demande d’expliciter, elle poursuit : “Je profite des acquis de chacun des pays voisins : je vis en Belgique, je passe mes vacances en France, je gagne ma vie et je dépense mon argent au Luxembourg… J’en fais même un principe, car la Belgique ne me donne pas de travail. Et d’ailleurs on nous taxe bien assez, entre la TVA et les impôts fonciers notamment…“, s’indigne-t-elle.

Frontalier de père en fille

Toute sa famille – ses parents naguère, ses six frères et sœurs aujourd’hui – travaille au Grand-Duché. “Notre père nous a toujours dit : ‘Si vous ne voulez pas mourir de faim, il vous faut travailler au Luxembourg’“, se rappelle-t-elle, retenant la leçon : “Il était indépendant ; il a travaillé la moitié de sa vie en Belgique, et l’autre moitié au Luxembourg. Et la différence de retraite est hallucinante : s’il n’avait exercé qu’en Belgique, il serait aujourd’hui à la rue. Sa retraite luxembourgeoise lui rapporte 3,5 fois plus que sa pension belge, alors qu’il a presté plus d’années en Belgique” constate-t-elle.

Parmi les maisons fantômes

Si elle reste dans la région d’Athus, c’est aussi par nécessité. “J’ai toujours voulu devenir propriétaire. J’ai donc acheté ma maison en Belgique, car mon salaire ne me permettait pas un tel achat au Luxembourg“, note-t-elle. “J’ai de la chance, car les petits métiers comme le mien ne peuvent plus se permettre de devenir propriétaires avec les salaires qu’ils reçoivent“.

D’autant qu’à Athus l’immobilier est aujourd’hui inabordable selon elle, et que la ville est devenue une cité dortoir : “Ceux qui ont de belles et grandes maisons, je ne les envie pas, parce qu’il faut les payer“, remarque-t-elle. “D’ailleurs, ces gens-là ne sont pas souvent chez eux : ils partent travailler très tôt le matin et reviennent vers 20 heures. Ce sont des habitations fantômes, vides…“.

Week-end café à Luxembourg… Et évasion à Bruxelles

Aussi, elle ne regrette pas sa qualité de vie : “Je commence tôt, mais à 15h00 je suis déjà chez moi. Et pour le salaire que je reçois, je ne vois pas pourquoi je devrais prester plus“. Quand elle rentre du travail, elle ne rêve qu’à une chose : se promener une bonne heure avec son chien, discuter avec les gens, prendre du temps pour soi.

Et son petit plaisir du week-end : aller le samedi à Luxembourg-Ville, se promener, aller boire un petit café en terrasse, et regarder les magasins, sans trop s’approcher : “Devant les boutiques de luxe, on ne peut que lécher les vitrines !“.
Une ou deux fois par an elle fait aussi un aller-retour à Bruxelles, en famille. “Là, je me sens comme en vacances : tu es dans ton pays, mais tu as tellement l’impression d’être ailleurs, avec les nombreux touristes que tu croises, c’est une atmosphère sympa et détendue qui te ressource de ta semaine“.