Face à de tels doutes, certaines sociétés n’hésitent pas à se procurer les services de détectives privés ou de personnes tierces afin d’espionner les salariés et s’en servir ensuite comme preuve pour les sanctionner.

Au Luxembourg, la légalité de tels actes avait été soulevée en 2015 lorsque 4 pilotes d’une compagnie aérienne avaient reproché à leur ancien employeur de les avoir espionnés pendant leur période de maladie.

Ainsi, la question qui se posait et qui se pose toujours actuellement était de savoir si de telles pratiques sont conformes au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Dans un arrêt du 18 janvier 2007, n°29981 du rôle, la Cour d’Appel de Luxembourg avait estimé que dans la mesure où les constatations du détective privé avaient eu lieu dans un lieu public, c’est-à-dire à un endroit où l’employeur aurait pu les constater lui-même, de même que tout autre passant fortuit, et portaient sur des faits qui n’avaient rien à voir avec la vie privée du salarié, à savoir l’exécution de travaux de rénovation sur un chantier, aucune atteinte à la vie privée ne pouvait être reprochée à l’employeur.

Cette jurisprudence a été rappelée dans un arrêt de la Cour d’Appel de Luxembourg du 12 janvier 2012, n° 36488 du rôle, qui avait admis la preuve rapportée par un employeur pour prouver la faute de son salarié par le biais d’un rapport d’un détective privé.

Dans un arrêt récent du 17 mars 2016, n° 15-11412 du rôle, la Chambre Civile Cour de Cassation française a cependant estimé que l’enquête confiée par un employeur à un détective privé pour espionner les faits et gestes d’un salarié de la sortie de son domicile jusqu’à son retour constituait un moyen de preuve illicite au regard de l’article 8 de la CEDH, de l’article 9 du Code Civil et de l’article 145 du Code de Procédure Civile français.

Dès lors, selon la Cour de Cassation, ce moyen de preuve aurait dû être écarté des débats.

Cette décision va ainsi dans la continuité de celle rendue par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation française en date du 26 novembre 2002, n° 00-42-401 du rôle, qui avait d’ores et déjà reconnu comme étant un moyen de preuve illicite le fait pour un supérieur hiérarchique d’organiser la filature d’un de ses salariés dans la mesure où elle impliquait nécessairement « une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur. »

A la différence de l’arrêt rendu en mars 2016, la filature avait été effectuée par l’employeur lui-même, ce qui amène à la conclusion que quels que soient l’auteur des faits, c’est bien l’acte en lui-même qui est sanctionné par la jurisprudence française.

Ainsi, il y a lieu de conclure que selon la jurisprudence française récente, un employeur qui se livre à ces pratiques ne saurait s’en servir car elles constituent un mode de preuve illicite.

Reste à voir si les juridictions luxembourgeoises suivront à l’avenir ce raisonnement ou non. 

Me Pascal Peuvrel
Avocat à la Cour
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Me Natacha STELLA    
Avocat à la Cour