Voilà trois décennies que ce Mosellan traverse chaque jour la frontière pour aller travailler au Grand-Duché. “J’ai commencé mon apprentissage en France, nous explique-t-il, avant qu’un collègue parti travailler à Luxembourg ne m’apprenne qu’ils recherchaient un imprimeur. Je n’ai pas hésité une seule seconde car les conditions salariales, sociales, étaient bien meilleures là-bas. On parle de l’année 1984. Une autre époque”.

“Je n’ai plus la même qualité de vie aujourd’hui”

Responsable du planning de production dans une imprimerie et imprimeur de métier, Laurent porte sur son parcours un regard éclairé : “Depuis la crise, les conditions sont un peu les mêmes que partout ailleurs : tout est bien moins avantageux que par le passé. Idem concernant le travail : nous sommes de moins en moins mais nous devons en faire de plus en plus“.



Cet état de fait se répercute-t-il sur la vie de ce père de famille en dehors du travail ? “Il y a eu deux parties dans ma vie. Quand j’étais en production, avec les horaires décalées, j’avais encore un peu de temps pour moi. Avec les horaires de bureau, on rentre à 18 heures, on n’a plus le temps, on n’a plus l’envie… Ce n’est plus la même qualité de vie“.

Frontalier pour 3.500 euros nets par mois

Occupant désormais un poste de cadre, Laurent nous confie toucher “3.500 euros nets par mois“. Un salaire confortable que notre imprimeur a vite fait de relativiser : “Ce n’est pas un salaire particulièrement élevé pour ma fonction, juge-t-il. Avec mon ancienneté par rapport à mon salaire des débuts, je dirais qu’il s’agit d’une évolution normale“.

Néanmoins, pas de secrets : pour obtenir ce genre de paye, il faut travailler. Beaucoup. “Je me lève vers 6 heures moins le quart, je prends le train à 6h45, quand tout va bien j’arrive à 7h30. Ensuite, c’est du non-stop. Ma journée ne suffit pas pour ce que j’ai à faire. Je cumule la planification des machines, les responsabilités de chef d’atelier, le travail administratif… Le bon point, c’est que le temps passe vite ! C’est un travail varié, tous les jours il y a de nouveaux défis à relever et ça me plaît“.

“Les Luxembourgeois sont chez eux, à nous de nous adapter”

Pour ce Lorrain d’origine, force est de constater que la greffe a pris. Mais qu’en est-il de son rapport avec les Luxembourgeois après toutes ces années ? “A vrai dire, je ne côtoie pas beaucoup de Luxembourgeois, dans la production ils sont peu nombreux. Ce sont des collègues de travail pour certains agréables, pour certains non, exactement comme dans tous les autres pays. Il n’y a pas un pays qui a le monopole du bon ou du mal.Ils ont leur culture et ça se ressent mais quoi de plus normal ? Après tout, ils sont chez eux, à nous de nous adapter’.

A nous de vous faire préférer le train

Bien entendu, la vie de frontalier est synonyme de trajets. Si le train comme la voiture possèdent leurs inconvénients, Laurent semble avoir tranché. “Sur mes 30 ans d’activités au Luxembourg, cela fait dix ans que je prends le train. Quand j’étais en production, avec les horaires décalées, je pouvais prendre la voiture. Maintenant que je travaille avec les horaires de bureau et malgré tous les problèmes que l’on peut avoir avec le train – les retards, les grèves – je n’échangerais pas le train pour l’automobile. On y est en sécurité, c’est bon marché, il faut prendre tout le reste avec philosophie“.

“Ne pas s’imposer deux heures de transports par jour pour gagner à peine plus”

Malgré quelques bémols, Laurent apparaît épanoui dans sa vie de frontalier.

Pour autant, conseillerait-il à ses enfants de marché sur ses traces vers la frontière ? “Actuellement, clairement oui. Mais pour aller travailler là bas il faut avoir une qualification qui est recherchée. A défaut peut être qu’il est préférable de garder sa qualité de vie. Ne pas s’imposer deux heures de transports par jour pour gagner à peine plus. On entend souvent que les frontaliers sont nantis avec les salaires, mais les frontaliers subissent les trajets, font 40h par semaine minimum et sont sur un siège ejectable dans le secteur privé comme partout“.

Une façon de voir les choses à imprimer noir sur blanc.