Il est de principe que l’employeur ne peut espionner ses salariés sur leur lieu de travail. Tout au plus peut-il mettre en œuvre des mesures particulières de surveillance qui seront guidées par un but particulier à savoir la bonne marche de l’entreprise, et ce toujours en accord avec la législation applicable.

Il faut cependant réserver une place toute particulière à la correspondance privée par e-mail au sein du travail.

On savait déjà que le Luxembourg ne faisait pas une application absolutiste de la notion de vie privée malgré des arrêts de la Cour européenne allant dans ce sens, l’intérêt de l’entreprise étant aux yeux des juges luxembourgeois, et très étonnamment, supérieur à celui des libertés fondamentales.

Illustration : « si les intérêts de l’entreprise l’exigent et que certaines conditions (lesquelles ? ndla) sont remplies, il doit être permis à l’employeur de porter atteinte à la vie privée de son salarié. De plus, l’inviolabilité absolue des correspondances risque d’inciter des salariés indélicats à y loger des dossiers plus ou moins illégaux (…). Il n’y a pourtant pas lieu de faire abstraction dudit document ». (C.S.J. 15.03.2012, n°36395 ; Jurisnews Droit du travail, p.260).

Le salarié est présumé coupable en somme et la preuve même déloyale permet à votre employeur de vous licencier.

Ce raisonnement laissait déjà perplexe sur le terrain du droit civil, mais c’était sans compter un jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg du 20 mars 2014, n°905/2014 du rôle.

La correspondance privée est protégée sur le terrain pénal par une série de textes. Parmi l’arsenal législatif, on citera l’article 460 du code pénal, les articles 10 et 11 de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, les articles L.261-1 et L.261-2 du code du travail, l’article 2 de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée et enfin l’article 4 de la loi du 30 mai 2005 relative aux dispositions spécifiques de protection de la personne à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques.

Deux choses à retenir de ce jugement.

Tout d’abord, mais on le savait déjà, l’employeur peut avoir un droit d’accès à vos e-mails personnels dès lors que ces derniers prêtent à confusion sur leur côté personnel ou professionnel. En l’espèce, était mentionné dans l’objet du premier mail « Privé. Drink nouvel an ».

Dans ce premier cas de figure, et là déjà on reste coi, « Le Tribunal retient qu’en l’occurrence même si le courriel litigieux porte le titre « Privé », les termes « Drink Nouvel An » y immédiatement adjoints, font croire qu’il s’agit d’une invitation officielle destinée à plusieurs personnes. Rien du titre ne laisse donc présager qu’il s’agit d’un mail privé exclusivement destiné à X ».

Dans l’esprit des juges bienveillants, « il existe pour le moins un doute quant à la volonté des employeurs de violer » les textes ci-dessus.

Fort de ce constat, on pense alors raisonnablement qu’il suffit pour le salarié de ne plus laisser planer le moindre doute et d’indiquer dans l’objet une formule du type « privé, personnel » (surtout pas « confidentiel » serait-on tenté de dire !).

Et bien non. Les juges sont allés encore plus loin.

Dans un second e-mail, la salariée avait bien pris soin de spécifier dans l’objet « PRIVATE CONFIDENTIAL ». Cela n’arrêtera pas le Tribunal qui constatera que cet email avait été expédié depuis un institut bancaire avec lequel l’employeur entretenait des liens professionnels.

Nonobstant l’inscription « PRIVATE CONFIDENTIAL » le Tribunal a retenu qu’il existait un doute, « si léger soit-il », qu’en ouvrant ce mail provenant d’un professionnel en relation d’affaires continues, l’employeur ait eu l’intention de violer les susvisés.

En d’autres termes, dès lors que vous entretenez une correspondance privée avec un salarié appartenant à une société « partenaire » de votre employeur, en prenant soin d’écrire en gras « privé », ce dernier peut y avoir accès sans jamais craindre la loi pénale.

Il sera toujours facile pour un employeur de soutenir qu’il avait un doute sur le caractère confidentiel d’un mail.

Rappelons, et cela ne fera pas de mal, que selon la Cour européenne des Droits de l’Homme « Le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables de sorte qu’il n’y a aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de vie privée comme excluant les activités professionnelles » (Cour EDH, Niemietz contre Allemagne, 23 novembre 1992).

Maître David Giabbani