Chantal est frontalière française. Elle travaille au Luxembourg depuis quatre ans comme rédactrice web pour un magazine luxembourgeois.

Elle gagne 2 700 euros brut par mois. Divorcée, elle est maman d’un adolescent de 17 ans. Durant la pandémie, elle a continué à travailler à temps plein en distanciel comme des milliers de frontaliers.

A quelques semaines de reprendre le travail au Luxembourg, quel bilan tire-t-elle de cette expérience inédite ? Quel a été son quotidien ? Quels sont les avantages et les inconvénients de cette nouvelle manière de travailler ?

Les frontaliers.lu : depuis combien de temps êtes-vous en télétravail ?
Chantal : cela fait maintenant un an et demi. Durant ce temps, je me suis déplacée peut-être une dizaine de fois au Luxembourg pour gérer des dossiers avec mon manager. Comme de nombreux salariés, j’en ai profité pour dépenser mes tickets-restaurants, acheter du tabac pour mes proches et faire mon plein d’essence. Par ailleurs, je suis retournée voir les commerçants que je fréquentais avant la crise sanitaire pour maintenir un lien et prendre des nouvelles.

Je suis toujours en télétravail jusque fin décembre, date à laquelle, je vais devoir revenir au Luxembourg à temps plein. Une situation que j’appréhende beaucoup surtout pour mes longs trajets quotidiens. Avant la crise, c’était la galère mais je crois que la situation sur la route n’a pas changé. Toujours autant de monde aux mêmes heures, j’ai le sentiment que c’est même pire qu’avant.

Je me suis isolée psychologiquement

Les frontaliers.lu  : qu’est-ce que vous a apporté le télétravail ?
Chantal : ma vie d’avant le Covid-19 était bien différente et se résumait à « Boulot-transport-dodo » du lundi au vendredi. Le télétravail m’a apporté beaucoup en commençant par de l’autonomie complète sur de nombreux projets. J’ai pu aussi concilier vie privée et vie professionnelle de manière plus harmonieuse en trouvant un juste équilibre. Je partage désormais des moments plus enrichissants avec mes collègues. On se parle moins mais mieux. Les conversations ont aussi changé, elles sont plus philosophiques et bienveillantes.

L’aspect négatif réside dans le fait que je me suis isolée psychologiquement. J’ai parfois le sentiment désagréable d’être seule derrière mon ordinateur. Au début, cela ne me dérangeait pas mais à présent, cela me pèse. Pour me motiver sur une tâche, j’ai parfois dû mal. J’aurais tendance à me dire que cela peut attendre et je traîne des pieds pour avancer.

Le télétravail à temps plein n’est pas une solution. Je pense qu’il faut, comme tout dans la vie, trouver un juste milieu. Je ne sais pas si le gouvernement au Luxembourg accordera encore plus de jours de télétravail aux frontaliers parce que les lois étant décidées au niveau européen, tout ceci va prendre encore du temps.

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Pas de reconversion mais une VAE

Les frontaliers.lu : avez-vous songé, durant cette période, à changer de travail ?
Chantal : oui, je l’avoue. J’ai songé à faire une reconversion vers un métier plus artisanal. Beaucoup de personnes pensent qu’il n’y a pas d’âge pour changer de métier. Avec le temps, je n’en suis pas si sûre. Je crois que tout se calcule. Célibataire, le défi me semblait trop important. A 50 ans, on hésite, on se projette difficilement dans l’avenir, on hésite à tout changer.

En revanche, j’en ai profité pour faire une VAE en tentant d’obtenir un master en communication. Par la suite, je compte faire un doctorat. Cette démarche, qui n’est pas simple, me semblait plus en lien avec mes aspirations pour me sentir mieux. Du coup, je ne change pas de métier mais je renforce mon “capital scolaire” afin de mettre au même niveau ma vie professionnelle et mes études.

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“Je me sens fatiguée par cette période” 

Les frontaliers.lu : comment vous sentez-vous moralement à quelques semaines de reprendre le travail en présentiel ?
Chantal : je me sens fatiguée par cette longue période que je viens de subir. Je suis contente de repartir dans mon entreprise et j’appréhende à la fois. Je ne sais pas si je vais pouvoir me réadapter à un rythme normal. Le manager de notre département rédaction n’est pas un bon manager. Ma remarque n’est pas négative, c’est un constat. Je ne sais pas si de son côté, il aura eu le temps de se poser toutes les problématiques liées au télétravail pour accueillir dans de bonnes conditions ses salariés. Au vu des  échanges Skype, il semble loin de tout ça. Manager, c’est un métier. Manager le changement, ce n’est pas simple. Je crois que lui aussi est à bout de souffle. Ca se comprend.

Se séparer de son enfant est compliqué

Les frontaliers.lu : après plus d’un an en famille, comment allez-vous gérer la situation ?
Chantal : la séparation avec mon garçon va être difficile. Je lui ai dit que je reprendrais dans quelques semaines, le travail à temps plein et que nous allions devoir nous réorganiser comme avant. J’ai senti une certaine tristesse. Il m’a dit : Tu fais bien ton travail à distance alors pourquoi retourner à temps plein au Luxembourg ? Sur le principe, il n’a pas tord.

“On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime”

Les frontaliers.lu : quel est le bilan que vous tirez de cette crise sanitaire ?
Chantal : (Elle sourit) sur le plan privé, je dirais qu’on ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime. C’est peut-être bateau comme citation mais un de mes meilleurs amis est mort du covid en juillet 2020 à 65 ans. Un moment difficile qui m’a permis de me dire que désormais, je ne repousserais pas à demain, ce que je peux faire le jour même. Chaque moment de la vie est important et que le travail n’est pas une fin en soi. J’ai décidé aussi d’éloigner de moi les personnes toxiques et la fourberie. Tout ceci ne fait plus partie de ma vie. Je vais désormais faire de mon mieux.

Sur le plan professionnel, la crise sanitaire a permis à mon employeur luxembourgeois de voir que le télétravail n’est pas synonyme de « télé » mais bien de « travail ». Ce que l’on croyait impossible, il y a un an et demi, est désormais possible. Le constat est là : le travail est fait que ce soit depuis son jardin, sur sa terrasse, dans son salon…

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