En décembre prochain, Hendrik fêtera ses 60 ans. Ce Hollandais – il est né à Rotterdam où il a passé toute son enfance et son adolescence – n’a pas le physique typique de ses compatriotes : il est plutôt petit, rond et voûté. La voix est rauque. Les deux paquets de cigarettes et le Porto – “sa boisson de tous les jours,“ rigole-t-il – y sont pour beaucoup.

À l’avant-bras, un tatouage discret représente une ancre marine. Dans une vie antérieure, Hendrik a été marin. Et chez les gens de la mer, le tatouage est censé faire peur et éloigner les esprits de la mer. C’est aussi un symbole de virilité.

De son temps, se tatouer était un signe de reconnaissance, et d’appartenance à une confrérie fermée et discrèteRien d’ostentatoire ni de coloré donc, comme on peut le voir sur les peaux d’aujourd’hui. “Je trouve ridicule cette mode de se tatouer tout le corps, à celui qui aura le tatouage le plus beau ou la phrase la plus originale,“ s’indigne-t-il.

Matelot à tout faire

Dans sa famille, on a toujours aimé voyager. Adolescent, Hendrik rêvait de prendre le large. Dès qu’il le peut, il quitte le foyer familial et s’engage comme matelot sur un bateau de commerce. ”J’avais vraiment envie de découvrir le monde, de voir d’autres continents, et de me prouver que j’étais capable d’affronter l’inconnu,” précise-t-il.

Sur le bateau, il est partout et fait de tout : “Je devais graisser les machines, nettoyer les machines, les ponts et les couloirs du bateau… Souvent, on, m’appelait en cuisine ou au service dans la salle de repas. Pas le temps de souffler,” plaisante-t-il. “À bord, la vie n’était pas toujours facile, mais j’étais heureux.”.

Ce qui lui plaît le plus sur le bateau ? L’impression de se sentir libre. Et surtout de voyager : “J’ai été en Afrique, en Asie et même en Australie,” dit-il fièrement. Le temps de courtes escales cependant.

La fin d’un rêve

Après plusieurs années comme ouvrier polyvalent, il passe ses brevets pour devenir second capitaine. Il est engagé par un armateur de portes-conteneurs, et s’embarque sur ces navires de 100 à 200 mètres de long, qui peuvent transporter plusieurs centaines de containers d’un continent à l’autre. Il y travaille une quinzaine d’années.

Jusqu’au jour où il fait une chute 3 mètres. Il parvient à retomber sur ses pieds, mais sa colonne vertébrale encaisse tout le choc et subit un tassement. Il passera un an à l’hôpital. Une fois rétabli, il est déclaré inapte au travail en haute mer.

C’est la catastrophe et la fin d’un rêve. Un ami hollandais le contacte et l’informe que l’une des sociétés d’exploitation de bateaux de croisière sur la Moselle luxembourgeoise recherche un cuistot.

Cure de désintoxication

Hendrik déménage au Grand-Duché avec femme et enfants, et y démarre une nouvelle carrière : “Vu mon état de santé, le travail était moins contraignant et le salaire plus élevé,“ indique-t-il. “Et en plus, je pouvais voir ma famille tous les jours.”.

Cependant, son accident lui a laissé des séquelles. Les douleurs dorsales le relancent de plus en plus souvent. Et malgré les opérations, elles ressurgissent fréquemment. Il se tourne alors vers le whisky et le Porto pour apaiser ses maux. Au point qu’il devient accro à cet “antidouleur, selon ses termes.

Il reçoit un premier avertissement de ses employeurs. Il comprend le message et suit une cure de désintoxication. Durant le traitement, il est en Bavière. Là, il y rencontre Denise, sa future femme. Originaire de Bertrange, cette Luxembourgeoise a été admise dans cette même clinique pour les mêmes raisons.

Après la cure, ils se revoient régulièrement. Hendrik décide alors de quitter son épouse et de s’installer avec Denise.

Harcèlement de voisinage

Ils emménagent dans son appartement à elle à Neudorf. Entretemps, Hendrik s’est mis à son compte : il a ouvert un petit commerce à Remich, à l’emplacement de l’ancien poste frontière, sur la Moselle, qui relie la ville luxembourgeoise à l’Allemagne.

Je vendais de tout : des articles de pêche, des équipements de moto, des boissons, un peu d’alimentation, et des produits de première nécessité, notamment pour les campeurs des environs,“ détaille-t-il. La région Moselle lui plaît. Lui et Denise souhaitent s’y installer.

Un jour qu’ils rendent visite à la fille d’un ami, dans un village proche de Perl, ils remarquent une maison à vendre. D’emblée, ils décident de l’acheter, et y emménagent rapidement. Une aubaine pour Hendrik, qui se rapproche ainsi de son commerce.

Au bout de quelques mois, le couple doit toutefois déchanter : la fille de son ami ne s’avère pas si bonne voisine que cela. Elle commence à les harceler : “Quand nous recevions de la visite, elle se mettait à la porte et nous hurlait des insultes devant nos amis,“ se souvient-il. “Quand nous entrions ou sortions de chez nous, elle était toujours à sa fenêtre à nous observer.“.

Associé indélicat

Au bout de plusieurs mois, ils décident de déménager et de quitter le village. Au cours d’une fête, non loin de Schweich derrière Trèves, une autre maison s’offre à eux. Elle est en retrait, et à bonne distance des voisins les plus proches. Ils l’acquièrent et laissent derrière eux la charmante voisine. Ils retrouvent leur tranquillité.

Mais Hendrik est alors confronté à un nouveau dilemme. Son nouveau lieu de résidence est trop éloigné de son commerce. Lassé des trajets, il souhaite travailler à temps partiel. Il fait alors appel à une connaissance, et l’engage comme associé. Ce dernier lui rachète la moitié des parts du fonds de commerce.

Tout va bien, jusqu’au jour où Hendricks souhaite se retirer complètement de l’affaire. Il veut alors récupérer son capital. Son associé, n’a pas suffisamment de fonds pour lui restituer la somme. Il lui propose de le rembourser en mensualités, ce qu’Hendrik est contraint d’accepter.

Mais l’autre n’honore pas sa parole. Pire il ferme boutique, et quitte le Luxembourg pour monter un commerce identique en Allemagne, de l’autre côté de la Moselle. Après plusieurs semaines de recherches, Hendrik parvient à retrouver sa trace et exige son argent.

Retrouver ses sensations

Il a beau réclamer, son ex-associé le mène en bateau : “Il me promettait de me payer le mois suivant, mais à chaque fois, je ne voyais rien venir sur mon compte,“ s’énerve-t-il. Il fait alors appel à un avocat. Lors du procès, le débiteur ne se présente pas au palais de justice de Trèves. L’audience est donc reportée à fin janvier prochain.

Toutefois, il ne désespère pas. Et pense qu’il récupèrera son argent… En partie seulement. En attendant le procès, qui durera certainement de très longs mois encore, il prépare son anniversaire : “Même si c’est difficile, j’essaie de ne pas y penser. Je veux fêter mes 60 ans et passer un très bon moment avec ma famille, tous mes amis et mes anciens collègues marins,“ insiste-t-il.

La célébration aura lieu aux Pays-Bas, sur un bateau qu’il a loué pour l’occasion. Le temps de quelques heures, il compte bien oublier ses soucis, piloter le navire et retrouver ses sensations du temps où il sillonnait les océans.