Les réponses à apporter aux violences au travail ne devraient pas être centrées sur les personnes qui y sont exposées, mais plutôt sur les entreprises et leurs (mauvais) choix organisationnels, leur communication, la définition de leurs objectifs. Il en va différemment.

Les entreprises et les directions ont en effet une tendance à rechercher l’origine des violences à l’extérieur, dans les désordres économiques et sociaux (précarité, violences urbaines, absence de régulation sociale) qu’elles subissent à l’instar de leurs employés.

Quant aux violences qui se déroulent à l’intérieur de leurs murs, elles seraient, selon elles, le fait de quelques brebis galeuses qu’il suffirait de maîtriser soit en les déclassant, soit en les renvoyant.

Pour les autres, le salarié-victime agressé par un usager ou un client, il sera suspecté de ne pas bien savoir gérer les conflits et l’agressivité. Celui-ci, choqué par des remarques désobligeantes, sera suspecté d’une fragilité psychologique liée à son enfance. Le salarié-victime ressent alors un certain isolement. D’autant qu’il doit faire face à l’image négative qu’on lui renvoie.

Abandonné le plus souvent par des collègues peu concernés ou bien qui, par lâcheté ou peur, prennent leur distance, son moral est au plus bas. Commence alors le petit jeu pervers des stigmatisations (harcèlement moral, sexuel).

Comment en est-on arrivé là ? Avec le déclin de la culture ouvrière des grands combats collectifs ces dernières décennies, le monde professionnel s’est profondément transformé.

La culture ouvrière, elle-même, était marquée par une certaine violence interne à l’entreprise, faite de sévices et de brutalités verbales à destination des jeunes apprentis qu’il s’agissait de soumettre aux anciens chargés de les former.

Ces violences rituelles, traditionnelles, étaient encadrées, contrôlées. Elles n’excluaient pas la solidarité, bien au contraire. Les agents de fabrication et les techniciens qui ont remplacé les ouvriers ne connaissent plus ces formes de solidarité collective et sont le plus souvent soumis à un turnover permanent.

Ceci est vrai pour d’autres catégories de salariés qui ne se trouvent plus intégrées à un corps professionnel dont la mission était de prendre en charge collectivement des problèmes propres à une profession donnée. Les salariés se retrouvent ainsi directement exposés à l’exploitation de petits chefs.

Les responsabilités directes de l’entreprise

Les différentes études menées sur le sujet établissent des liens entre les difficultés relationnelles des individus et les choix d’organisation des entreprises qui conduisent à un niveau de stress accru pour les salariés, parfois une détérioration de leur santé mentale.

Lors d’une grande enquête menée en France sur les conditions de travail à l’hôpital, plus de 11 % des soignants hospitaliers déclarent être victimes de harcèlement moral régulièrement. Il apparaît que cette situation est directement liée à des problèmes récurrents tels que le manque de personnels.

C’est par exemple le cadre qui, pour faire face à ses congés maladie ou maternité non remplacés, fait appel à des infirmier(ère)s ou aides-soignant(e)s en repos ou en congé pour les pousser à assurer le service.

Les uns et les autres s’accusent mutuellement d’incompétences, d’irresponsabilité, de non-respect de la personne, de comportements méprisants. On peut se demander pourquoi l’accent n’est pas davantage mis par l’employeur (en France notamment) sur la gestion de la main-d’oeuvre (recrutement insuffisant).

Une situation que l’on peut bien entendu retrouver dans d’autres secteurs économiques. Il va de soi que le manque de moyens et de temps pour bien faire son travail est une source majeure de stress pour les salariés.

Tout comme l’obligation qui leur est faite d’agir à l’encontre de leurs valeurs personnelles ou professionnelles telles que licenciements abusifs, vente de produits dont les clients n’ont pas besoin ou de produits camouflant des opérations comptables ou boursières douteuses. Les injonctions contradictoires participent également du malaise que peut ressentir le salarié mis en difficulté (être aimable, surveiller, respecter les règles).

Des formes d’évaluation du travail déshumanisantes sont un autre aspect du problème. Les indicateurs d’activité et de performance qui tendent à s’imposer dans le secteur privé ne mesurent que ce qui est mesurable, quantifiable et entre dans les objectifs à court terme des directions.

L’injonction faite par exemple aux vendeurs de ne pas perdre de temps avec des clients non « rentables » mais qu’ils vont tout de même prendre le temps de conseiller, participant ainsi à la construction d’une bonne image de l’entreprise.

La menace explicite ou non de perdre son travail est une forme de violence de plus en plus présente dans l’entreprise. Les salariés précaires (CDD ou interim), dont le nombre ne cesse de croître, sont les plus menacés. Plans sociaux et licenciements économiques ont un effet destructeur sur les salariés qui les vivent comme une indignité sociale.

Les entreprises se mobilisent-elles ?

Il ressort de l’enquête paneuropéenne menée par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail que moins de la moitié des entreprises de l’Europe des 27 déclarent avoir mis en place des procédures pour réagir aux brimades et harcèlement (30 %), à la violence liée au travail (26 %) et au stress (26 %). Les entreprises qui ont déclaré avoir mis en place la plupart de ces procédures se trouvent établies en Irlande, au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves, aux Pays-Bas et en Belgique.

Sont concernés principalement les secteurs sanitaires et sociaux, l’éducation, l’intermédiation financière. Les mesures prises sont principalement la mise en place de formations (58 %) et la modification du mode d’organisation du travail.

Martine Borderies

Sources : Enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents.
Marc Loriol, La violence au travail, Les Cahiers français n° 376, La Documentation française

(Article publié dans le numéro 93 d’Entreprises Magazine, Janvier/Février 2019.)

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