Depuis septembre dernier, Samuel redécouvre les joies du travailleur frontalier. La mi-trentaine, vivant à Nancy, ce graphiste et webdesigner a repris du service au Luxembourg, comme salarié dans une agence de communication. Il gère un portefeuille de clients, luxembourgeois et français, pour lesquels il conçoit des sites Web, des affiches et des supports publicitaires notamment.

J’avais besoin de me poser professionnellement

Il n’avait pas remis les pieds au Grand-Duché depuis 2012. Malgré les temps de trajets – plus d’une 1h40 quand tout roule – la décision d’y retourner travailler a mûrement été réfléchie.

J’avais besoin de me poser professionnellement et de me stabiliser financièrement. Je voulais désormais rentrer chez moi l’esprit libre et avoir un salaire qui tombe régulièrement à la fin du mois.“.

Cinq ans auparavant, Samuel avait sauté le pas : engagé alors comme graphiste et webdesigner, dans une autre agence de communication au Grand-Duché, il avait décidé de quitter son employeur, pour se lancer avec un associé dans l’aventure de l’entrepreneuriat.

Je me suis dit que c’était vraiment le moment d’y aller.

À l’époque, il planchait déjà sur ce projet : d’abord pendant ses heures de loisirs, ensuite à mi-temps, puis 18h/24 : “J’avais envie d’entreprendre. J’avais pas mal d’idées, alors je me suis dit que c’était vraiment le moment d’y aller.”.

Le concept était novateur et prometteur : “L’idée était de présenter les métiers d’art, les artisans, leurs savoir-faire et leurs produits, via une plateforme de promotion Internet ; en les mettant en valeur de manière moins traditionnelle, à travers une mise en scène, des histoires et des ambiances, et en utilisant toutes les possibilités qu’offre le Web,” explique-t-il.

Pour être plus près des créateurs et des décideurs, les deux associés installent le siège de la start-up à Paris. S’étant entretemps mis en couple, Samuel partage donc sa vie entre Nancy et la capitale.

Le trajet en TGV ne le rebute pas. Il ne dure guère plus qu’un Nancy-Luxembourg. Il peut y travailler ou y finir ses nuits, quand il se rend au travail. “Bien souvent le soir, j’arrivais chez moi avant mes collègues qui eux habitaient en région parisienne,” se souvient-il.

On avait le label French Tech”

Les deux associés s’immergent dans le monde de l’artisanat et de la création parisien. Ils participent à des soirées, se font connaître, prennent part à des concours, quand ils ne président pas un jury. Non sans oublier qu’ils ont une start-up et des employés à gérer.

À l’époque, c’est tendance : “On avait le label French Tech,” ironise Samuel. ”Mais il faut faire ses preuves : auprès des investisseurs et des clients, les artisans.”.

Les investisseurs et les organismes financeurs se déclarent prêts à soutenir la jeune pousse. Mais les conditions sont bien souvent irréalisables ou inacceptables.

Un système complètement vérolé”

Au bout de 18 mois, Samuel et son associé commencent à s’inquiéter : leur société ne décolle pas. Ils redoublent alors d’effort pour trouver de nouvelles sources de financement. Ils se tournent alors vers les organismes chargés, via des fonds publics, de soutenir des projets numériques comme le leur : mais c’est vite la désillusion.

Régulièrement, on était invités à des soirées, avec du beau monde, et où on mangeait bien… Il y avait des politiques, des spécialistes du développement de projets, des directeurs d’organismes financeurs…,” se souvient-il.

Tous, très forts pour les effets d’annonce, pour se congratuler et pour se faire mousser. Mais au final, les belles subventions dont ils se gaussent, tu ne les vois jamais. Pas mal de ces organismes financeurs utilisent pour leur propre compte, ces subventions publiques qu’ils sont sensés distribuer ; le système est complètement vérolé.“.

Au bout de trois ans, ils mettent la clé sous la porte, faute de fonds suffisants pour continuer : “L’écosystème start-up m’a extrêmement déçu : tout le monde il est beau et il est gentil ; mais au final, il y en a à peine une start-up sur dix qui réussit. Beaucoup de start-upers se plantent et perdent tout ; mais personne n’en parle.”.

Un idéal qui s’écroule

Pour Samuel, c’est un idéal qui s’écroule : “Je me suis rendu compte que les métiers d’art est un secteur comme les autres : ceux qui réussissent ne sont pas nécessairement les plus talentueux. Ils bénéficient seulement des bons contacts et des bons réseaux.“.

Ce monde qui s’écroule, je l’ai aussi observé chez beaucoup d’artisans, qui se lancent dans leur projet avec passion, puis qui réalisent qu’ils ne pourront pas en vivre.“.

Samuel décide alors de rentrer définitivement à Nancy et de se mettre à son compte, en tant qu’auto-entrepreneur, cette fois. Il réactive son réseau Grand-Est et luxembourgeois, et reprend son activité de graphiste et de webdesigner, pour le compte de clients, principalement des SME, mais aussi des PME.

Mais les conséquences de la récession se font fortement sentir. Et les clients de Samuel n’ont pas toujours le budget pour financer une campagne de pub ou de com’. À nouveau, il tente de garder la tête hors de l’eau, mais y parvient de plus en plus difficilement. Et au bout de la 2ème année, il se résigne à jeter l’éponge.

À nouveau frontalier

Depuis septembre dernier donc, Samuel reprend le train pour le Luxembourg. Tous les jours ou presque. Car il a pu négocier une journée de télétravail hebdomadaire. “Je sors d’une expérience qui était financièrement compliquée. Et à un moment donné on a envie de plus de stabilité, pour se reconstruire,” admet-il.

“Je me sens à nouveau bien dans ma vie et dans mon travail, même si les trajets lui prennent une bonne partie de son temps.“.

Pour le moment, il n’envisage pas de se rapprocher du Luxembourg. Il avoue cependant avoir plein d’idées en tête, des projets qui lui tiennent à cœur, et qu’il pourrait bien concrétiser d’ici deux à trois ans.

Et c’est certainement au Grand-Duché, qu’il pourrait bien les mettre en musique, tant l’écoystème start-up lui paraît plus mature, sérieux et apte à accompagner les jeunes pousses.