Son cas est de moins en moins isolé. Après plusieurs années passées comme conseiller en vente pour une boutique d’une grande marque dans l’habillement, Vivien, frontalier, a décidé de quitter le Luxembourg, usé par des temps de trajet toujours plus longs et épuisants.

« Tenter le coup » au Grand-Duché

Originaire de Woippy, au nord de Metz, où il réside toujours, Vivien approche « dangereusement » (comme il en sourit lui-même) la trentaine. Après un Bac +2 obtenu en vente et quelques premières expériences dans des commerces de la préfecture mosellane, il décide voilà quatre ans de passer la frontière pour tenter l’aventure au Grand-Duché.

« J’ai toujours aimé discuter avec les gens. Ayant aussi un bon sens du contact, j’ai commencé assez jeune à m’intéresser à la vente. C’est notamment la possibilité de rencontrer tous les jours de nouvelles personnes qui me plaisait ; pouvoir échanger avec elles, les conseiller. »

Passionné de mode, le jeune homme finit par décrocher un job à temps partiel dans une petite boutique de Metz. « C’était une première expérience, très formatrice, qui m’a permis de confirmer que j’aimais ce métier ». Après quelques années passées dans ce commerce, Vivien se dit qu’il est peut-être temps de se lancer dans un nouveau challenge professionnel.

« C’est là qu’un de mes amis m’a suggéré de candidater dans des magasins de vêtements au Luxembourg, que cela pouvait être une belle opportunité, surtout que les recrutements étaient nombreux. Alors j’ai voulu tenter le coup ! » Aussitôt dit et (presque) aussitôt fait : moins de trois mois plus tard, Vivien décroche un emploi de vendeur dans un magasin de vêtements situé près de la Grande Rue, dans le centre de la capitale.

Les premiers couacs

Nous sommes en 2018 et le jeune Mosellan « vit sa meilleure » vie, comme il s’amuse à le résumer, dans une confidence teintée d’une pointe de nostalgie. Son contrat de travail débutant à la fin du mois de juin, il effectue ses deux premiers mois pendant l’été, avec une affluence modeste lui permettant de prendre ses marques sereinement, et des trajets domicile-travail plutôt fluides sur l’A3/A31.

« La question des allers/retours, c’était un facteur que je craignais presque autant que le fait de ne pas faire l’affaire aux yeux de mon supérieur hiérarchique ; mais finalement j’ai été très vite rassuré. »

Comme on pouvait s’en douter, les choses commencent à se gâter à la rentrée de septembre 2018, avec le retour d’un flux bien plus important d’automobilistes retournant travailler au Grand-Duché, et des conditions de circulation s’en voyant inévitablement dégradées.

En principe, Woippy (le lieu de résidence de Vivien) et le centre de Luxembourg-Ville sont distants d’une soixantaine de kilomètres, soit en temps normal autour d’une heure de voiture. « Sauf que cela m’arrivait de mettre pratiquement le double parfois. Commençant à 9 h, je devais partir entre 7 h et 7 h 15 pour espérer ne pas arriver en retard, c’était fou ! »

Une usante récurrence

À partir de l’automne 2018, Vivien comprend que la réputation de l’A31/A3 en matière de ralentissements est parfaitement fondée. Cependant, convaincu que ce job luxembourgeois, qui plus est dans sa branche, est une belle opportunité pour lui, il s’accroche… « J’ai tenu toute l’année 2019 comme ça. J’en suis ressorti crevé mais une fois arrivé, tout se passait super bien à mon travail, ce qui m’a énormément aidé à tenir. »

Aussi inédite qu’imprévisible, l’année 2020 se voit bousculée par un Covid-19 qui contraint les commerces dits non-essentiels à baisser leur grille pendant plusieurs mois. Le commerce de vêtements dans lequel travaille Vivien fait partie de ceux-là et, comme des milliers d’autres employés, celui-ci se retrouve au chômage technique, attendant avec impatience le retour à la vie normale…

Avec l’arrivée de 2021, les perspectives s’éclaircissent quelque peu, malgré une situation sanitaire toujours très compliquée. « En 2021, nous avons pu ouvrir davantage. Et même si le début de l’année était encore compliqué, progressivement la situation s’est améliorée et les clients ont commencé à revenir. »

Par ailleurs, et parmi le lot de surprises qu’elle a entraîné, la pandémie et le développement du télétravail qui l’a accompagné ont permis de réduire notoirement le flux de frontaliers prenant leur voiture pour aller travailler au Luxembourg le matin. « Je retrouvais la fluidité du trafic que j’avais pu connaître à mes débuts ici, c’était l’idéal ! » Malheureusement, le retour en présentiel de la majorité des frontaliers, ajouté à la mise en place de la loi fixant un quota annuel maximum de jours pour télétravailler sous peine de se voir imposer dans son pays, s’accompagne du retour des bouchons sur la route…

Une situation qui n’est plus tenable

Très vite, Vivien comprend alors qu’à raison de trois voire quatre heures quotidiennes (pour les pires jours) de voiture pour partir travailler et revenir chez soi à Woippy, il ne pourra tenir le rythme plus longtemps. « J’ai donc décidé l’an passé d’essayer de prendre le train, histoire de voir si cela était plus pratique et surtout moins fatiguant. »

La commune de Woippy étant en plus située du bon côté de Metz car sur la route de Luxembourg, le trajet ne prend en principe qu’une petite heure. C’était sans compter les nombreux retards, incidents et travaux survenant très régulièrement sur cette ligne fondamentale du sillon lorrain.

« J’ai commencé à prendre le train entre février / mars 2022 et jusqu’à maintenant, et honnêtement je crois qu’il n’y a pas eu une seule semaine sans qu’il y ait des problèmes sur la ligne… Et encore, je ne parle même pas des trains supprimés lors des grèves ou des travaux sur la gare de Luxembourg qui nous obligent à descendre à Bettembourg. »

À l’instar des nombreux frontaliers français habitant la Moselle, le jeune homme perd peu à peu à la fois sa patience… et son énergie. « S’attendre chaque jour à une galère potentielle, qui bien souvent en plus finit par arriver, c’en est lassant au début, puis carrément épuisant à la fin. »

« À la fin ». Le mot est lâché, Vivien, lui, désabusé. Aimer son travail mais se ruiner la santé et ses nerfs pour s’y rendre et en revenir ; ou quand les inconvénients finissent par prendre le pas sur le rêve initial. Aussi, après mûres réflexions et conseils pris auprès de sa famille et de ses amis, le jeune conseiller en vente prend la décision, au début de ce mois de janvier 2023, de quitter son poste au Luxembourg pour revenir travailler plus près de chez lui.

« D’une certaine manière, avec les embouteillages et les problèmes de train, c’était un peu eux ou moi. Je respecte la résilience de tous les frontaliers qui continuent ces allers-retours années après années, mais moi j’y renonce. Oui, travailler au Luxembourg fut une très bonne expérience, oui j’y ai gagné bien plus que ce à quoi je pourrai prétendre dans mon prochain emploi, mais tout ça à quel prix ? Ma santé, ma vie personnelle passent et passeront toujours avant, c’est comme ça. »

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