Alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne est toujours saisie de litiges concernant des enfants étudiants issus de familles recomposées s’étant vus refuser les aides financières de l’Etat luxembourgeois pour les études supérieures au motif qu’ils ne sont pas à considérer comme des membres de la famille de travailleurs frontaliers, une nouvelle atteinte aux droits des familles recomposées s’est manifestée à travers la nouvelle loi du 23 juillet 2016 sur les allocations familiales.

En effet, selon l’ancien article 269 du Code de la Sécurité Sociale, tout enfant résident au Luxembourg et y ayant son domicile légal pouvait prétendre aux allocations familiales, ainsi que les membres de sa famille. Les enfants des travailleurs frontaliers pouvaient aussi y prétendre.

 

D’après l’ancienne version de l’article 270 du Code de la Sécurité Sociale, étaient considérés comme appartenant au même groupe familial, les enfants légitimes ou légitimés issus des mêmes conjoints, ainsi que tous les enfants adoptés par les mêmes conjoints en vertu d’une adoption plénière.

Par ailleurs, toujours selon l’ancien article 270 alinéa 3 du Code de la Sécurité Sociale, étaient assimilés aux enfants légitimes d’une personne :

  1. Les enfants adoptés en vertu d’une adoption simple

  2. Les enfants naturels qu’elle a reconnus

  3. Les enfants du conjoint ou du partenaire au sens de l’article 2 de la loi du 09 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats

  4. Ses petits-enfants, lorsqu’ils sont orphelins ou que les parents ou celui d’entre eux qui en la garde effective sont incapables au sens de la loi. 

 

L’article 270 du Code de la Sécurité Sociale tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016 est rédigé en ces termes :

 

« Pour l’application de l’article 269, paragraphe 1er, point b), sont considérés comme membres de famille d’une personne et donnent droit à l’allocation familiale, les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne. »

Par conséquent, il résulte clairement des nouvelles dispositions légales en vigueur que les enfants des conjoints ou des partenaires ne sont plus à considérer comme des membres de la famille et se trouvent purement et simplement exclus du bénéfice des allocations familiales.

 

Or, outre le fait qu’une telle exclusion soit totalement contraire à la réalité sociale et économique de nombreuses familles à l’heure actuelle, elle n’est pas conforme aux normes européennes applicables.

En effet, dans le cadre du litige opposant les enfants de familles recomposées à l’Etat luxembourgeois en matière d’aides financières pour études supérieures, l’Avocat Général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) n’a pas manqué de rappeler au mois de juin 2016 qu’en matière de citoyenneté de l’Union Européenne, les enfants membres de la famille sont définis par la directive 2004/38 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 comme les « descendants directs qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire. »

 

Ce principe a d’ailleurs été rappelé dans le cadre d’une directive récente n° 2014/54/UE du Parlement Européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs.

 

En outre, comme l’a rappelé à juste titre l’Avocat Général dans ses conclusions, l’interprétation de la notion de membre de la famille telle que retenue par les directives citées précédemment est conforme à la notion de « vie familiale » protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

 

Il a ainsi estimé que même si un enfant n’avait pas de lien juridique à proprement parler avec le travailleur migrant, le fait de répondre à la qualification de membre de la famille au sens des directives précitées, devait lui permettre d’être considéré comme le propre enfant du travailleur et pouvoir ainsi bénéficier des avantages sociaux le concernant.

 

Dans ses conclusions du mois de juin 2016, l’Avocat Général de la CJUE a également mis l’accent sur la réalité sociale et économique qui touche de nombreuses familles recomposées, à savoir que la contribution à l’éducation et à l’entretien d’un enfant vivant quotidiennement au sein d’un foyer résulte d’une situation de fait caractérisée par des éléments objectifs sans qu’il soit nécessaire de donner davantage de détails sur ledit soutien ni d’en chiffrer exactement l’ampleur.

 

En effet, il est clair qu’un enfant élevé jour après jour dans un ménage génère indéniablement des frais qui sont supportés par le couple qui forme le foyer dans lequel il évolue, même si une des deux personnes qui le composent n’est pas un de ses parents.

 

Par conséquent, il ressort des développements qui précèdent que la nouvelle loi du 23 juillet 2016 relative aux allocations familiales n’est pas conforme au droit européen, ce que les familles recomposées pourront faire valoir en justice le cas échéant, lorsque la Caisse pour l’Avenir des Enfants (anciennement Caisse Nationale des Prestations Familiales) leur notifiera ses premiers refus consécutifs à l’entrée en vigueur de la loi au 1er août 2016. 

 

 

Me Pascal PEUVREL

 

Avocat à la Cour

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Me Natacha STELLA

 

 

Avocat à la Cour