De nombreuses familles frontalières sont toujours en attente de leurs allocations familiales du Luxembourg. Voici un résumé de ce qui s’est passé depuis ce fameux mois d’août 2016.

Souvenez-vous, l’entrée en vigueur de la loi luxembourgeoise du 1er août 2016, a changé la situation des travailleurs frontaliers, et certains se sont vus supprimer les allocations familiales.

Les enfants non biologiques des familles recomposées en question

Cette loi a tout simplement modifié la définition de membre de la famille et a privé d’allocations familiales les enfants non biologiques du travailleur frontalier qui y avaient droit jusqu’alors.

Certains y ont vu une discrimination, d’autres une économie. Toujours est-il que pour bon nombre de frontaliers, il s’agit d’une injustice profonde, la seconde après celle des bourses d’étude en 2010.

À noter encore que par le truchement d’autres dispositions légales, les résidents au Grand-Duché placés dans une situation strictement identique (familles recomposées) percevaient, eux, les allocations familiales.

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Des procédures pour mettre fin à cette injustice

Plusieurs procédures ont été entamées pour le compte de travailleurs frontaliers pour tenter de mettre fin à cette injustice.

Dans une décision du 17 novembre 2017, le Conseil arbitral de la sécurité sociale, dans une affaire dite « pilote », a donné raison aux frontaliers et a réformé la décision de la Caisse pour l’Avenir des Enfants qui avait refusé l’octroi des allocations familiales à ces enfants d’une famille recomposée.

La Caisse pour l’Avenir des Enfants a interjeté un appel contre cette décision

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale, dans un arrêt du 17 décembre 2018, a décidé de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne afin de poser des questions préjudicielles.

Après quatre ans de combat, au terme d’une procédure fleuve, la Cour de Justice de l’Union Européenne a donné gain de cause aux frontaliers en déclarant illégale la loi luxembourgeoise de 2016.

Cet arrêt du 2 avril 2020 évoque notamment la liberté de circulation du travailleur tout en rappelant que le droit aux prestations est lié à l’exercice d’une activité salariée au Luxembourg, constituant ainsi un avantage social.

La discrimination dont furent victimes les frontaliers est clairement dénoncée :

« En l ‘occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en vertu de la législation nationale en cause au principal, tous les enfants résidant au Luxembourg peuvent prétendre à ladite allocation familiale, ce qui implique que tous les enfants faisant partie du ménage d un travailleur résidant au Luxembourg peuvent prétendre à la même allocation, y compris les enfants du conjoint de ce travailleur.

En revanche, les travailleurs non-résidents ne peuvent y prétendre que pour leurs propres enfants, à lexclusion des enfants de leur conjoint avec lesquels ils nont pas de lien de filiation

Une telle distinction fondée sur la résidence, qui est susceptible de jouer davantage au détriment des ressortissants d’autres États membres dans la mesure les non-résidents sont le plus souvent des non nationaux constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité. »

Le conseil Supérieur de la sécurité sociale déclare l’appel non fondé

Suite à ce succès obtenu devant les instances européennes, l’affaire dite « pilote » a paru à nouveau devant le Conseil Supérieur de la sécurité sociale qui avait saisi la CJUE.

En date du 10 décembre 2020, le Conseil Supérieur de la sécurité sociale a déclaré l’appel de la CAE non fondé au regard de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne et a conclu au maintien des allocations familiales pour l’enfant non-biologique du travailleur frontalier.

Toutes les autres affaires qui avaient été mises en suspens dans l’attente de l’issue de la procédure devant la Cour de Justice de l’Union européenne ont été rappelées par le Conseil arbitral de la sécurité sociale.

Le Conseil arbitral a chaque fois, donné gain de cause aux frontaliers.

Pourquoi les allocations ne sont-elles toujours pas versées ?

Au regard de toutes les décisions intervenues, les frontaliers pensaient légitimement que la CAE allait enfin régulariser la situation et verser les allocations familiales injustement supprimées depuis 2016.

Hélas, cela ne fut pas le cas, et la CAE continua de refuser envers et contre toute attente l’octroi des allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers dès qu’ils en faisaient la demande pour des motifs hautement critiquables.

En effet, alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne posait comme condition que le parent non biologique (le travailleur frontalier) participe à l’entretien de l’enfant sans s’attacher à une quelconque participation des parents biologiques, la CAE se plût à analyser si les parents biologiques participaient à l’entretien de l’enfant (au travers notamment d’une pension alimentaire).

Si le cas échéant, une pension alimentaire est versée, la CAE se plaît à conclure à tort que le parent non biologique ne participe pas à l’entretien de l’enfant alors qu’il tombe sous le sens que le simple versement d’une pension alimentaire n’entraîne pas de facto la non-participation du parent non biologique à l’entretien de l’enfant qui vit au quotidien sous son toit.

En plus de ne pas accorder les allocations familiales, la CAE interjette systématiquement appel contre toutes les décisions favorables rendues par le Conseil arbitral de la sécurité sociale.

Le combat continue !

Le combat ne s’arrête donc pas pour Me Pascal PEUVREL ([email protected]), épaulé de ses collaborateurs, Me Fabrice BRENNEIS et Me Quentin GAVILLET, qui soutient depuis toutes ces années les frontaliers en vue de faire cesser une fois pour toute cette injustice et cette inégalité de traitement flagrantes.

Un pourvoi en cassation a encore du être dirigé contre la seule décision rendue en appel par le Conseil supérieur de la sécurité sociale et qui fut négative pour le frontalier.

Dans cette décision, les juges ont validé à tort la position de la CAE qui consiste à vérifier si le frontalier pourvoit ou non à l’intérêt de l’enfant en allant éplucher tous sa situation financière et même celle des deux parents biologiques.

Une fois encore, de telles fouilles ne sont pas entreprises concernant les résidents placés dans une situation identique.

La CAE crée ainsi une nouvelle discrimination étonnamment validée par le Conseil Supérieur de la sécurité sociale.

Il faut rappeler que l’arrêt de la CJUE ne se positionne pas par rapport aux parents biologiques alors qu’il s’agit de faire l’interprétation la plus large possible de la notion d’entretien de l’enfant comme le préconisait déjà l’avocat général européen dans le dossier des bourses d’études.

L’affaire de cassation a été plaidée le 6 octobre.

Espérons qu’elle permettra de mettre fin au marathon judiciaire imposé aux frontaliers et aux refus obstinés de la CAE.

Dans tous les cas, le combat continuera.

Lire : Allocations familiales : la discrimination se poursuit au Luxembourg

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