Contrairement à ses pays voisins, le Luxembourg ne dispose d’aucun cadre précis et contraignant, aucun chiffre concret sur le nombre de ces comptes dormants et encore moins sur le montant total de ces avoirs.

Les banques comme les titulaires/bénéficiaires de comptes sont livrés à eux-mêmes… Petit tour d’horizon.

Qu’est-ce qu’un compte inactif ?

Selon la circulaire de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) 15/631, le professionnel du secteur financier doit considérer qu’un « compte » (compte espèce, compte titre, compte de monnaie électronique, coffre-fort) est inactif, lorsque pendant les 6 dernières années (i) il n’y a eu aucune communication de la part du client (ou de son représentant autorisé) (ii) et si ce dernier n’a opéré aucune transaction durant les trois années précédentes (iii).

Tout signe de vie du client ou de son représentant autorisé doit être pris en compte par le professionnel. Les opérations financières initiées par des tierces personnes (renouvellement automatique de dépôt, prise de frais, paiement d’intérêts) n’entrent évidemment pas en considération.

Qui est concerné ?

Le spectre est large. Ce phénomène peut toucher, par exemple, le particulier expatrié qui oublie au pays un compte non clôturé, ou encore le bénéficiaire économique (BE) défunt qui, après d’habiles montages de sociétés, apparaît en filigrane en qualité de détenteur d’un compte bancaire luxembourgeois.

Il est fréquent qu’un BE ait aiguisé son sens de la discrétion au point d’avoir tu l’existence de ces avoirs aux autorités fiscales de son pays mais aussi à sa famille, la privant de facto de toute revendication.

Que doit faire la banque ?

Dans la mesure où il n’existe pas de cadre juridique contraignant, les banques sont censées définir leur propre procédure interne tout en restant dans le sillage marqué par la circulaire de la CSSF et des dispositions du Code de Déontologie de l’Association des banques et banquiers de Luxembourg (ABBL).

A titre préventif, les banques sont censées établir un contact régulier au moins annuel avec leurs clients et suivre ces relations avec vigilance.

Les professionnels doivent être en mesure d’isoler les comptes inactifs et de recenser les avoirs dormants. Dès qu’une relation est identifiée comme inactive, le banquier devra tenter de rétablir le contact avec le client par tous moyens de communication approprié.

Il lui est également possible d’engager des frais pour rechercher ce client ou ses héritiers, en respectant le principe de proportionnalité.

Signalons au passage, qu’une récente intervention de l’Union Luxembourgeoise des Consommateurs a dénoncé le montant exorbitant des frais ponctionnés sur ces comptes dormants.

Le sort des avoirs dormants 

A la lumière de l’article 2236 du Code civil, le professionnel ne pourra en principe jamais s’approprier les avoirs déposés sur des comptes dormants par la voie de la prescription acquisitive.

La banque demeure dépositaire des avoirs et n’est nullement autorisée à utiliser ces fonds à d’autres fins que la restitution.

Si la banque parvient à identifier le client ou les héritiers, elle est censée informer du sort réservé à leurs avoirs en cas de non reprise de la relation.

Autant dire en pratique, que les banques n’ont pas forcément l’organisation interne adéquate pour débusquer de tels comptes et en rechercher les titulaires ou bénéficiaires.

Contrairement à ses voisins, les banques luxembourgeoises ne sont pas (encore) obligées de transférer les fonds non revendiqués vers la Caisse de Consignation.

A l’heure actuelle, il ne plane aucune menace de dépossession étatique des droits des titulaires/bénéficiaires sur leurs avoirs dormants, contrairement à la France et à la Belgique.

D’autre part, il est aisé d’imaginer que les banques ont tout intérêt à garder ces comptes dormants dans leurs bilans d’autant plus que les professionnels ne sont pas obligés de procéder à une clôture d’office de tels comptes.

Les titulaires ou bénéficiaires de ces comptes qui n’auraient pas obtenu satisfaction après réclamation faite auprès des banques concernées sont en droit de saisir la CSSF, sinon les instances judiciaires.

C’est dans ce contexte pour le moins opaque qu’une législation serait la bienvenue afin d’imposer une procédure claire aux professionnels du secteur financier. Gageons que ce projet de loi ne s’alignera pas entièrement sur les modèles voisins.

Que se passe-t-il chez nos voisins ?

En France, un compte est considéré comme dormant si le titulaire ou son représentant autorisé ne s’est pas manifesté « sous quelque forme » que ce soit pendant 12 mois consécutifs, ou 5 ans pour les livrets d’épargne, les comptes à terme et les comptes titres.

Au-delà, et à défaut de revendication, les fonds seront transférés vers la Caisse des Dépôts et des Consignations. Depuis janvier 2017, la Caisse des Dépôts a mis en place un site en ligne afin de rechercher ces assurances-vie et comptes inactifs.

En Belgique, les comptes sont considérés comme dormants au-delà d’un délai de 5 ans. Un site internet est également mis à disposition du public pour débusquer ces avoirs dormants.

Observation : il faut noter que le transfert des fonds vers le Trésor français ou belge ne prive pas automatiquement les titulaires/bénéficiaires de ces comptes de leurs droits sur ces fonds. Les avoirs peuvent encore être revendiqués par le biais des prédites plateformes uniquement pendant une période de 20 ans (ou 27 ans en cas de décès) avant que l’Etat français ne les récupèrent, et 30 ans du côté belge.


Maître Saliha DEKHAR
Avocat à la Cour
Barreau de Luxembourg
[email protected] : adresser le courriel à Me DEKHAR