Comment le pot aux roses a été découvert ? Un remboursement par la France est-il envisageable et comment ?

L’étincelle

Tout commence avec le cas de Monsieur Gérard de Ruyter, ressortissant néerlandais, domicilié en France tout en étant employé par une société néerlandaise située aux Pays-Bas.

Au titre des années 1997 à 2004, M. de Ruyter a déclaré en France des revenus de source néerlandaise (salaires, revenus de capitaux mobiliers, bénéfices industriels et commerciaux ainsi que de rentes viagères néerlandais).

L’administration fiscale française a considéré que les rentes viagères perçues par M. de Ruyter constituaient des revenus du patrimoine et a assujetti l’intéressé à des cotisations de CSG, de CRDS, de prélèvement social de 2 % ainsi que de contribution additionnelle de 0,3 %.

M. de Ruyter a contesté le bien-fondé de ces impositions, le Conseil d’Etat (CE) qui a été saisi de ce litige n’a pas manqué de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne1 (CJUE).

La CJUE1 suivie par le CE2 ont condamné la France au nom du principe de non double-imposition aux prélèvements sociaux (CSG/CRDS) des non-résidents.


La règle n’est pourtant pas nouvelle !

Les juges européens ont exigé à voir appliquer en France le principe de l’unicité de la législation telle que prévue par le règlement CE 1408/71 du 14 juin 1971 modifié par le règlement n°883/2004 du 29 avril 2004.

Ainsi, l’article 13 du règlement du 14 juin 1971 dispose que « les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre (…) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un seul Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Dans le cadre des prédites décisions, les juges de la CJUE ont été saisis à titre préjudiciel par le Conseil d’Etat français. Les juges européens ont estimé que les prélèvements fiscaux assis sur les rentes viagères à titre onéreux perçues de source étrangère entrent dans le champ du règlement du 14 juin 1971 dès lors qu’ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale.


Quels contribuables sont concernés ?

Le droit communautaire vise les expatriés français ainsi que les travailleurs frontaliers.

Relevons que le Ministère du budget et des finances pose déjà une limite injustifiée à la jurisprudence européenne en estimant que le remboursement ne concernera que les expatriés et frontaliers issus d’un Etat membre de l’UE, de l’EEE, et de la Suisse, en excluant délibérément les expatriés résidants hors UE.

La position pour le moins surprenante des autorités françaises à l’endroit des expatriés résidents hors UE nourrira immanquablement un nouveau contentieux. Il est fort à craindre que les 500 millions d’euros budgétés pour lesdits remboursements devront être revu à la hausse dans la prochaine loi de finance du gouvernement.

Quels prélèvements sont concernés ?

Pour les personnes domiciliées en France, le remboursement concernera les prélèvements sociaux portant sur l’ensemble des revenus du capital en France (produits de placement et revenus du patrimoine) et affectés au budget des organismes sociaux.

Pour les personnes domiciliées hors de France, le remboursement visera les prélèvements sociaux appliqués aux revenus immobiliers (plus-values immobilières et revenus fonciers) issus de biens situés en France et affectés au budget des organismes sociaux.

Les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, dont le taux global est fixé à 15,5% depuis 2012, se décomposent de la façon suivante :

  • Contribution sociale généralisée (CSG) : 8,2%
  • Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS ): 0,5%
  • Prélèvement social : 4,5%
  • Contribution additionnelle au prélèvement social (Caps) : 0,30%
  • Prélèvement de solidarité : 2%

Quelles sont les modalités pour introduire une réclamation ?

Les documents à fournir :

La Direction générale des finances publiques a mis en ligne une liste de documents à joindre pour prétendre à une restitution de vos prélèvements.

Les délais :

Les résidents d’Etats tiers, comme ceux résidants dans l’Union, non affiliés à un régime social français seront donc bien inspirés d’introduire une réclamation dans les délais afin de pas tomber sous le coup de la prescription biennale. Sachez d’ailleurs que vous êtes en droit de demander des intérêts moratoires sur le capital réclamé.


Loi de financement de la sécurité sociale 2016 : nouvelle pierre d’achoppement en vue !

Malgré la jurisprudence remarquée de la CJUE et du Conseil d’Etat, malgré les centaines de millions d’euros provisionnés aux fins des prédits remboursements, le gouvernement récidive et contourne le droit communautaire. Ainsi, les prélèvements sociaux sur le patrimoine immobilier des non-résidents n’ont pas été abrogés, mais seulement changés d’affectation : ils migrent de la sécurité sociale vers Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Même si l’approche du droit français consiste à ne pas considérer ces prestations « non contributives » comme des cotisations sociales, toujours est-il que la branche vieillesse relève bien du champs d’application des règlements communautaire de 1971 et 2004.

Le droit communautaire prime sur la législation nationale si bien qu’il suffira de pointer la non-conformité du droit français avec les prédits règlements européens pour que le juge français et/ou communautaire condamne(nt) à nouveau la France au remboursement sur ce poste de prélèvement.

Maître Saliha DEKHAR
Avocat à la Cour
Barreau de Luxembourg
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1 CJUE, 26 février 2015, aff.C-623/13, « Ministre de l’Economie et des Finances / Gérard de Ruyter ».
2 CE 20 octobre 2014 n° 367234, 3e et 8e s.-s., « Min. c/ SCI Saint-Etienne et M. et Mme Aimé ».