Maire de Terville depuis plus de quinze ans, avocat au Luxembourg, Patrick Luxembourger s’active depuis ses premiers mandats pour faire bouger les lignes de la coopération franco-luxembourgeoise. Celui qui est aussi vice-président de la communauté d’agglomération Thionville-Portes de France, en charge des politiques publiques transfrontalières, s’est confié longuement aux frontaliers.lu.

Patrick Luxembourger, vous avez porté un regard très attentif sur le séminaire franco-luxembourgeois qui s’est tenu au mois de mars dernier. Quel bilan en faites-vous ?

« C’est pire que tout ce qui pouvait être imaginé. Nous avons été quelques-uns à essayer de sensibiliser les élus gouvernementaux à la réalité des problèmes et à l’importance, non seulement de trouver des solutions aux problèmes des transports, mais encore de développer une vraie logique de territoire en commun. Au bout du compte, on a une visite d’état, présentée comme historique, dont il ne ressort strictement rien. C’est le vide. Dans cet accord, il n’y a rien. Et je trouve cela terriblement triste et déprimant. »

En réaction, vous évoquiez une victoire diplomatique luxembourgeoise.

« Pour les Luxembourgeois, c’est une victoire totale parce qu’ils voulaient l’immobilisme. Sauf qu’à mon sens, ils ont pris un risque majeur. Les Français se sont rendus compte, certes trop tard, qu’ils s’étaient fait avoir. Mais je peux vous dire que certains se sont réveillés. On est en train de jouer à un super jeu de perdant-perdant et les gens sont au milieu. »
 

 
Le train, dans le meilleur des cas, en option wagon-sardines, c’est 25.000 personnes. Point final.

 

Les annonces, notamment en termes de planification ferroviaire (augmentation du cadencement, élargissement des quais…), restent selon vous insuffisantes.

« Tout ce qui est ressorti sur le transport ferroviaire, on le savait depuis longtemps, il n’y a rien de neuf. On ment aux gens, on se moque du monde, c’est ça qui me révolte. Quand tout sera opérationnel, à l’horizon 2023-2024, dans le meilleur des cas, en option wagon-sardines, le train transportera 25.000 personnes entre 6h du matin et 8h30. Point final. Tout le reste, c’est de l’enfumage. La SNCF et les CFL sont en phase sur ce point. Monsieur Bausch, pour qui j’ai le plus grand respect, ne peut pas continuer à dire que c’est la solution. On ne peut pas faire plus sauf construire une nouvelle voie de chemin de fer. Pendant ce temps, il y a des gens qui sont en souffrance sur la route, d’autres qui ont des accidents, une économie en train de se bloquer, un territoire qui va s’asphyxier, de la pollution… Je n’ai pas à me mêler de ce que font les Luxembourgeois mais à un moment donné, il faut être honnête et dire la vérité aux gens. »

 

On ne va pas construire une infrastructure qui s’arrête à la frontière. 

 

En 2006, vous aviez soumis l’idée d’une ligne ferroviaire Thionville-Terville-Florange longeant l’A31 et l’A3 avec des arrêts prévus à Kanfen, Bettembourg et Hollerich, surnommée V.I.T.AL. Projet qui a été tué dans l’œuf.

« A l’époque, nous avions étudié différentes options dont celle du V.I.T.A.L. Le but était d’avoir un lien définitif entre les deux territoires pour qu’ils se structurent. On souhaitait drainer les gens en utilisant le tracé de l’autoroute pour éviter qu’il passe dans les campagnes. Le rapport réalisé par un cabinet luxembourgeois, qui travaillait avec les CFL, donc dans un but d’interconnexion toujours, avait conclu à la faisabilité du projet. Tout le monde s’y est opposé pour des raisons politiques en France, pour des motifs que j’ignore au Luxembourg. »

En début d’année, les élus de l’agglomération Thionville-Portes de France ont financé une étude sur la potentialité d’un acheminent du même acabit : le Supraways. Quid de cette ébauche ?

« C’est une petite étude pour vérifier les chiffres en capacité et en coût d’infrastructures techniques. Mettre en place quelque chose qui transporte 4.000 personnes à l’heure ne va rien apporter. Il s’agirait de cabines plus petites, plus souples avec un mode de propulsion écologique. Il ne s’agit pas de gros œuvres et, techniquement, cela provoquerait moins de désordre que le bétonnage d’une nouvelle voie. Il pourrait circuler au-dessus de l’autoroute, en parallèle, ou même complètement en marge de celle-ci. C’est une solution modulable et light. Mais c’est toujours la même chose, si le Luxembourg ne veut rien faire, on ne peut rien faire. On ne va pas sortir de terre un réseau qui s’arrête à la frontière. De la même manière, pourquoi construire un tramway reliant Luxembourg à Micheville et pas Thionville ou Metz ?»

 

On ne motive pas de la même manière des individus de 20 et 50 ans.

 

Une élue messine, Christine Singer, suggérait d’affecter une voie réversible sur le terre-plein central entre Thionville et Luxembourg pour moduler le trafic.

« Je n’y crois pas. C’est trop dangereux, il y a trop de densité à presque toutes les heures. Les camions représentent 18% du trafic. On nous refuse l’interdiction du trafic de transit de 6h à 8h30 le matin. Je ne vois pas comment on pourrait mettre en place une solution du même tonneau comme une voie réversible. Je ne comprends pas pourquoi on s’obstine à ne pas vouloir mettre en place une infrastructure. Je ne comprends pas l’argument contre. « Rien n’est possible » selon certains. »

Le possible lancement du chantier A 31 bis peut-il désengorger les parcours actuels ?

« Ça me fascine ! Tout le monde souhaite cette infrastructure mais elle ne réglera pas le problème. Tout le monde sait que lorsqu’on dégage des capacités sur la route, elles sont de suite reprises. Et puis François Bausch l’a expliqué, le bus concernerait 4.000 personnes. Des 100.000, on enlève 4.000…»

Le dessein d’imprégner les mentalités de l’alternative co-voiturage semble plutôt louable.

« Bien sûr qu’il faut développer le partage de véhicules ! Mais il faut aussi se rendre compte que la démarche va parler aux jeunes qui ont un autre comportement, un autre regard sur les choses. Vous allez demander à tout le monde de monter à quatre dans une voiture et de supporter le parfum ou la musique de tel ou untel ? On ne motive pas de la même manière des individus de 20 et 50 ans. J’ai demandé à ce qu’on étudie ce qu’il se passe en Belgique avec les bureaux-bus. C’est un petit bout de solution mais l’idée est franchement top. Là, les travailleurs y trouvent un avantage puisque la journée de travail commence dès qu’ils montent à bord de l’autocar. »
 

Nous n’avons pas besoin que Xavier Bettel nous paye des guirlandes de Noël.

 

D’un point de vue fiscal, êtes-vous en faveur d’une plus juste redistribution des recettes issues de l’impôt payé par les frontaliers au Luxembourg ?

« Les Luxembourgeois disent « On ne va pas leur donner de l’argent. » Mais nous n’avons pas besoin que Xavier Bettel nous paye des guirlandes de Noël. Nous ne sommes pas des mendiants. Le problème est que nous aurons bientôt 100.000 salariés français résidant en France qui payent la totalité de leurs impôts au Luxembourg. C’est tout à fait normal qu’ils cotisent une grande partie sur place car ils vivent de l’économie locale. Ceci dit, les frontaliers financent des infrastructures dont ils n’ont que très partiellement l’usage, que ce soit pour l’école ou la santé. Ce qu’on ne rappelle pas non plus, c’est que les chômeurs français sont pris en charge par les caisses françaises au premier jour, alors que selon la réglementation, c’est après trois mois. Ce qui me choque, c’est qu’il n’y a même pas de volonté de discussion sur le sujet. On n’arrête pas de payer. »

 

Nous n’avons jamais été consultés. Soit c’est de l’incompétence, soit il y a d’autres calculs derrière.

 

Les élus locaux concernés par la thématique transfrontalière ont-ils été concertés dans l’élaboration de ces accords conclus entre les deux pays ?

« Les Luxembourgeois ne veulent pas parler avec des élus locaux, ce que je comprends. Donc les pourparlers ont lieu avec des hauts fonctionnaires parisiens qui ne connaissent pas la problématique. Nous n’avons jamais été consultés en vue de ce séminaire sur ce sujet. La Caisse des dépôts et des Consignations n’a pas non plus été sollicitée. Soit, c’est de l’incompétence, soit il y a d’autres calculs derrière. »

Vous militez en outre pour une plus grande coopération dans d’autres pans de l’activité économique.

« Il y a un problème de vision politique alors qu’il y a possibilité de bâtir un grand territoire avec le Luxembourg en point névralgique. Il y a des choses simples à mettre en œuvre dans de multiples domaines (apprentissage, science…) mais il faut que les gens se parlent. J’avais proposé des choses très symboliques et importantes il y a quinze ans, en incitant des communes françaises à se porter volontaires pour la mise en place d’un enseignement du luxembourgeois à l’école primaire. Cours qui auraient été dispensés par des enseignants fonctionnaires du Luxembourg. Pour des raisons culturelles d’abord mais aussi pour signifier par une action symbolique, la sympathie et le respect. Cela aurait permis de poser les fondations d’un dialogue apaisé. »

Vous n’êtes pas un peu trop pessimiste dans vos perspectives ?

« Je ne suis pas soupçonnable d’avoir la moindre mauvaise pensée envers le Luxembourg. Je ne peux qu’être un ami de cette nation dont je connais l’histoire, où j’ai vécu et où je suis engagé professionnellement. C’est une nation qui bénéficie d’une remarquable réussite. On m’a même reproché en France de défendre les Luxembourgeois. Mais quand je vois que nous entrons dans une logique de destruction plutôt que de construction, dans un raisonnement au mieux concurrentiel, au pire conflictuel, je suis juste inquiet. Le Luxembourg ferait mieux de construire des alliances et tout le monde ferait mieux de comprendre que nous avons besoin de la dynamique du Luxembourg. »