1. Les chiffres

En 2008, lors de la première réunion de la Fédération des Artisans du Luxembourg, les chiffres soulevés semblaient déjà assez consternants : l’alcool est responsable de 25% des accidents du travail subis, un salarié sur six serait licencié du fait de la consommation de boissons alcoolisées, les absences au travail seraient quatre fois plus fréquentes chez les personnes ayant des problèmes d’alcool, et presque un employé sur dix affirme consommer de l’alcool quotidiennement au travail.

Dix ans plus tard, rien ne semble avoir changé. Les statistiques sont toujours aussi élevées et les tribunaux, tant au civil qu’au pénal, ne cessent d’être sollicités pour des problèmes liés à l’absorption de substances psychotropes sur le lieu de travail. Il y aurait à l’heure actuelle de plus en plus d’accidents du travail liés à l’alcool, de plus en plus d’absentéisme et de licenciements.

Face à ce constat, nombreux sont ceux à préconiser la mise en place d’une loi interdisant purement et simplement la consommation d’alcool au travail. Toutefois, le législateur ne projette pas, pour le moment, de travaux en ce sens.

2. L’alcool, motif de licenciement valable ?

Devant le mutisme de la loi et du Code du travail, les tribunaux disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation, duquel découle la faculté de pouvoir apprécier, au cas par cas, si la consommation d’alcool au travail justifie un licenciement. Et, dans l’affirmative, si le licenciement est basé soit sur des motifs réels et sérieux permettant d’allouer au salarié un préavis, soit sur une faute grave justifiant la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail.

En la matière, la jurisprudence ne s’oppose théoriquement pas à la consommation d’alcool sur le lieu de travail si ce fait demeure un cas isolé et non accompagné d’éléments perturbateurs. Les tribunaux vont également prendre en compte certains éléments externes tels que l’ancienneté du salarié au sein de l’entreprise, l’absence d’antécédents et/ou d’avertissements antérieurs.

A titre d’exemple, le licenciement ne sera donc pas justifié si le salarié, au cours de ses nombreuses années de service au sein de l’établissement, a consommé de l’alcool sur son lieu de travail mais qu’il s’agissait là d’un fait unique et que l’absence de faits perturbateurs accompagnant son geste est constatée.

Le juge érige donc en condition sine qua non la commission d’une faute par le salarié rendant impossible le maintien des relations de travail. La consommation d’alcool à elle seule ne suffit pas à caractériser une faute grave du salarié, celle-ci doit être évidente. Ainsi, sera fautif l’employé en état manifeste d’ébriété (Jugement du Tribunal du Travail du 07/06/1999 n° 2785/99), celui dont le comportement sera considéré comme étant perturbateur pour l’entreprise au sein de laquelle il est employé, pour les autres salariés ainsi que pour la clientèle éventuelle.

Par conséquent, un salarié devenu agressif ou complètement inapte à exercer ses fonctions suite à la consommation d’alcool, pourra se voir notifier son licenciement pour faute grave.

Les tribunaux se montrent à juste titre beaucoup plus sévères en présence de salariés occupant des postes à risque, tels que les chauffeurs professionnels. Dans ce cas, la seule consommation d’alcool est suffisante pour motiver un licenciement pour faute grave, et ce même en l’absence de tout élément perturbateur.

Les tribunaux accordent encore la possibilité à l’employeur de se séparer du salarié occupant le poste de chauffeur routier lorsque celui-ci s’est vu retirer son permis de conduire suite à un contrôle d’alcoolémie positif même si le contrôle est intervenu en dehors des heures de travail. L’employé est en effet privé de son outil de travail principal, il n’est donc plus utile à l’employeur qui n’a, de plus, pas l’obligation de lui proposer une autre fonction.

Il est important de préciser qu’en cas de licenciement, c’est à l’employeur de rapporter la preuve que l’employé a consommé de l’alcool durant ses heures de travail. La preuve peut se faire par tous moyens, et notamment par le biais de témoins ou d’attestations testimoniales qui devront être précises sous peine d’être écartées (voir par exemple Arrêt de la Cour d’Appel du 14/05/1998 n° 19946). Cependant, un test d’alcoolémie ne pourra être effectué sans le consentement du salarié, ni même le simple examen par air expiré. Néanmoins, le refus du salarié de se soumettre au test, pourra jouer en sa défaveur.

3. L’obligation de sécurité

Même si le Code du travail ne contient aucune disposition relative au sujet traité, son article L.312-1 impose à l’employeur l’obligation d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail.

A cet effet, il se doit de réagir immédiatement lorsqu’un salarié présente des signes d’ébriété. Cependant, l’employeur ne peut en aucun cas l’autoriser à rentrer chez lui en utilisant son propre véhicule ou un véhicule de fonction.

Si l’employeur ne met pas en œuvre tous les moyens nécessaires afin d’écarter le salarié alcoolisé, il pourra voir sa responsabilité engagée.

Le Code du Travail prévoit encore à l’article L.313-1 (1) que le salarié lui-même doit assurer sa propre sécurité ainsi que celle des autres travailleurs. Il résulte de cette disposition l’obligation, pour les autres salariés, d’intervenir face à un salarié alcoolisé.

4. Les moyens d’action de l’employeur

A l’aune des dispositions légales lacunaires en la matière, l’employeur peut user de moyens permettant de contrôler la consommation d’alcool au sein de son entreprise.

Ainsi, il peut prévoir au sein même du contrat de travail, des clauses visant à interdire la consommation de boissons alcoolisées sur le lieu de travail. Néanmoins, toute clause prévoyant que la consommation d’alcool pendant le temps de travail est constitutive d’une faute grave sanctionnée par un licenciement est nulle car pour rappel, seul le juge peut apprécier si les faits qui lui sont soumis sont ou non susceptibles d’entraîner le licenciement.

L’employeur peut également interdire aux travailleurs de consommer de l’alcool en le précisant dans un règlement intérieur qui doit être visible par tous les employés qui l’auront préalablement accepté par écrit, soit dans leur contrat de travail, soit dans un avenant ultérieur.

Il est à noter que des organismes tels que l’Inspection du Travail et des Mines, le Conseil National Luxembourgeois d’Alcoologie ou encore le ministère de la Santé, ont édité des guides afin de traiter des effets de la consommation d’alcool et de drogues sur le lieu de travail et ainsi permettre aux employeurs et aux salariés de mieux appréhender le problème.

5. Le bilan en 2018

Les exigences professionnelles toujours plus poussées, les fonctions exercées plus stressantes et la conjoncture économique difficile, sont tout autant de facteurs pouvant expliquer l’accroissement du taux de travailleurs consommant quotidiennement de l’alcool sur leur lieu de travail. Ce qui pose un véritable problème au regard notamment du manque de textes légaux régissant la matière.

A contrario, l’émergence d’une loi interdisant de manière stricte la consommation de boissons alcoolisées durant l’exercice de la profession, ne serait-elle pas une mesure trop exagérée ? Doit-on tirer la sonnette d’alarme à chaque fois qu’un pot est organisé au sein même de l’entreprise ? Seule l’évolution jurisprudentielle et l’élaboration éventuelle de travaux législatifs pourront peut-être faire apparaître des solutions adaptées.

Me Pascal Peuvrel
Avocat à la Cour
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Me Cyrielle GANGLOFF
Avocat