Uruffe, Meurthe-et-Moselle, 1956. A une quarantaine de kilomètres de Nancy, dans une ambiance post Deuxième Guerre mondiale, le petit bourg paysan abrite 400 âmes.

A l’époque, la religion occupe encore une place prépondérante dans la société française et nombreuses sont les communes construites autour d’une paroisse. Uruffe est de celles-ci.

Un homme de foi moderne et séducteur

Le curé, Guy Desnoyers, est ordonné par l’Eglise en 1946 à son retour de la guerre. A 37 ans, il est dépeint comme un homme de foi moderne organisant des excursions pour adolescents, ayant fondé une équipe de football dans laquelle il pratique, une chorale ou encore un théâtre amateur.

Le bruit court également qu’il a tendance à lever facilement sa soutane. Aucune référence à des actes pédophiles, seulement une réputation de coureur de jupons dont les habitants s’accommodent sans mot dire.

Revenu du front, il aurait entretenu une relation d’une dizaine d’années avec une femme, Madelaine, de dix ans son aînée. Rien qui n’émeuve outre mesure “les Canards”, nom donné aux hôtes d’Uruffe.

Une battue menée par le curé

Dans la nuit du 3 au 4 décembre 1956, sur les coups d’une heure du matin, le son des cloches vient perturber le calme routinier du village. Les résidents sortent du lit et organisent une battue pour retrouver une de leur paroissienne, Régine Fays, 18 ans et enceinte de huit mois, disparue la veille.

Une absence signalée, en début de soirée, par Guy Desnoyers, au maire d’Uruffe. Les recherches aboutissent finalement, sur indication du curé lui-même, dans un fossé le long d’une route déserte en direction de Pagny-la-Blanche-Côte.

Une scène indicible apparaît sous le feu des lanternes : le corps allongé, bras en croix, de Régine, troué de trois balles et son enfant, extrait du ventre, poignardé et défiguré. Un acharnement innommable.

Devant les gendarmes, Guy Desnoyers s’agenouille et bénit le corps des victimes.

Des antécédents étouffés grâce… à l’argent de la quête

Les enquêteurs entament les investigations et se renseignent sur l’emploi du temps de la victime. Rapidement, ils ont vent des rumeurs sur le côté séducteur du prêtre. Ils apprennent que des antécédents le concernant ont été passés sous silence.

Par le passé, il aurait côtoyé et mis enceinte Michèle, une ouvrière de 16 ans dans une verrerie de la région. Par peur, il l’aurait convaincu de s’exiler et d’abandonner sa progéniture en prétextant qu’elle était issue d’un viol subi lors d’une fête de village.

Devant le retentissement de l’affaire, l’évêque de Nancy s’était alors déplacé pour faire la lumière sur cette histoire. Le suspect s’était alors jeté à ses pieds, en pleurs, niant farouchement ce qui lui était imputé. Dans le doute, certainement émue par la scène, l’Eglise passe l’éponge.

Les policiers découvrent qu’un cas similaire impliquerait également Guy Desnoyers : une autre jeune fille, portant son enfant, aurait accepté de garder le secret en échange d’une enveloppe remplie avec l’argent de la quête.

« Je suis lié par le secret de la confession »

Le 5 décembre, Guy Desnoyers est placé en garde à vue. Durant l’interrogatoire, ce dernier dément d’abord fermement, en assurant qu’il connaît l’identité du meurtrier qu’il ne peut toutefois pas révéler, en vertu de sa profession. « Je ne peux pas vous dire car je suis lié par le secret de la confession », explique-t-il en montrant son manuel de théologie.

Les gendarmes n’en croient pas un piètre mot et continuent d’acculer le prévenu en soulevant des incohérences dans son discours. Il finit par craquer. Dans ses aveux, il revient sur le déroulement du crime.

Il aurait connu et aimé Régine qui fréquentait le théâtre amateur. Tombée elle aussi enceinte, il s’inquiétait des éventuelles suspicions de l’évêché à son égard si la nouvelle parvenait à ses oreilles. Régine concevait l’impératif de discrétion mais refusait l’accouchement clandestin.

Il baptise le fœtus avant de le défigurer

Le soir du 3 décembre, Desnoyers monte dans sa 4 CV et s’en va rejoindre sa maîtresse à qui il a donné rendez-vous à la sortie du village. Lui et la future mère s’arrêtent en chemin pour se promener, moment où le curé tente, en vain, de convaincre Régine. Elle refuse et s’éloigne, seule, sur la route.

Le croyant la suit, la rattrape, sort un revolver de sa soutane et lui tire à trois reprises dans le dos. La jeune fille est tuée sur le coup. Il se munit alors d’un couteau de scout et procède à une césarienne.

Le bambin (une fille), né viable selon les experts, est encore rattaché à sa mère par le cordon ombilical. Il le baptise, le poignarde et lui lacère le visage par peur qu’un lien soit établi entre ses traits et celui du fœtus.

Condamné à des travaux forcés à vie

Quand les médias s’emparent du faits divers, la France est bouleversée par cet acte « satanique ». Il fallait alors remonter jusqu’en 1830 pour trouver trace du dernier prêtre meurtrier. Guy Desnoyers est jeté en prison pendant deux ans.

En 1958, son procès se tient à la Cour d’assises de Nancy. Le réquisitoire de l’avocat général est inflexible : la peine de mort. « Il a trompé Dieu qu’il avait choisi comme maître et a trompé ceux à qui il avait mission d’enseigner la pureté », déclare-t-il alors.

Tout compte fait, le meurtrier est condamné aux travaux forcés à perpétuité, répandant ainsi la rumeur d’une intervention en sous-main de l’Eglise.

Mort dans une abbaye du Morbihan

En 1978, Guy Desnoyers, plus ancien prisonnier de France, bénéficie d’une liberté conditionnelle. Libéré en catimini durant l’été, la nouvelle n’est rendue publique qu’un mois plus tard suscitant l’effroi de la population.

Néanmoins, personne ne sait où se cache l’intéressé. D’aucuns se demandent même s’il est encore en vie. On apprendra plus tard que l’accord de libération prévoyait de l’envoyer dans une abbaye du Morbihan d’où il aurait purgé sa peine jusqu’à sa mort en 2010.

Jean-François Colosimo, auteur du livre « Le jour de la colère de Dieu » relatant cette histoire sordide, raconte qu’un prêtre, ayant côtoyé Desnoyers après sa libération, lui aurait assuré que, depuis sa cellule bretonne, il aurait vécu l’enfer sur Terre en attendant la mort.

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