Je ne comprends pas, c’était quelqu’un de gentil, qui disait toujours bonjour…” Etonnement typique de voisins ou de personnes qui connaissent de près ou de loin un individu dont la folie meurtrière fait la une des journaux.

En l’occurrence, aucun témoignage en ce sens n’a suivi l’arrestation de Vincenzo Aiutino. Plus jeune tueur en série de France, il a été condamné à la réclusion à perpétuité en 1998, à l’âge de 22 ans pour le meurtre de trois femmes à Longwy entre août 1991 et février 1992.

Singulier personnage que ce Vincenzo Aiutano, né en Suisse, d’origine italienne, qui a vécu en Belgique, à Aubange.

Derrière une belle gueule transalpine et une amabilité apparente, se cache un homme machiavélique, dénué de tout scrupule, brisé, sans doute, par une enfance infernale.

Août 1991 : première victime

Le 6 août 1991, une attachée commerciale longovicienne de 21 ans, Isabelle Le Nénan ne revient jamais de sa pause déjeuner. Les parents s’inquiètent immédiatement de cette absence étonnante tandis que la police privilégie la piste d’une fugue.

La jeune fille est sérieuse et ponctuelle et sa non-présence au travail met la puce à l’oreille de la famille.

De son côté, le commissariat de Longwy découvre qu’Isabelle traverse une période plus difficile que ses proches ne l’imaginaient, la raison, entre autres, tenant à un différend avec son fiancé.

Le jour de sa disparition, le véhicule d’Isabelle Le Nénan est retrouvé sur un parking à proximité de son lieu de travail, un sandwich pas entamé sur le siège passager. Bertrand, son père, est sur le champ convaincu que le créneau n’est pas l’œuvre de sa fille, à laquelle il a appris à garer son véhicule les roues droites, ce qui n’est pas le cas sur les lieux.

Les enquêteurs découvrent entre temps que la fille Le Nénan a entrepris son train-train habituel entre midi en allant se reposer dans l’appartement d’une amie. Démunie d’indice, la police n’engage pas davantage de manœuvres. La famille, elle, opère ses propres recherches.

Le 10 août, les volontaires découvrent le sac à main d’Isabelle au milieu d’un terrain vague, à proximité de l’endroit où a été retrouvée sa voiture. Les chiens renifleurs mènent tous aux abords d’un bac de décantation situé près de Mont-Saint-Martin. Après pompage des bassins, aucune trace d’Isabelle.

Le 22 août, l’affaire est classée.

Un maçon au casier judiciaire long comme le bras

Le 13 septembre, une caissière au supermarché de Longwy ne donne plus de nouvelles de vie. Elle s’appelle Isabelle Christophe, a le même âge qu’Isabelle Le Nénan, et disparaît en plein jour dans le même quartier.

Les policiers mettent la main sur une lettre aux intentions suicidaires chez elle et s’y fient, sans faire de lien.

Le mystère va prendre une autre dimension le 20 octobre 1991. Alors en pleine partie de chasse, un père et son fils tombent sur la dépouille calcinée d’une femme dévêtue portant encore ses bijoux dans une forêt belge. Les parents d’Isabelle Le Nénan les reconnaissent.

L’autopsie réalisée au Plat pays atteste d’une mort sauvage à coups de barre de fer sur le crâne. La police de Longwy ne croit plus en une coïncidence et dresse la liste des délinquants sexuels du secteur.

Parmi les quatre profils étudiés, un attire particulièrement leur attention. Celui d’un maçon exerçant au noir à Longwy au casier judiciaire long comme le bras : Vincenzo Aiutino.

Exhibitions en public, propositions et impositions de pratiques sexuelles à des femmes, vols, bagarres, étranglement… Le jeune homme a déjà purgé plusieurs peines de prison.

Aucune preuve matérielle

Le 20 novembre 1991, il est entendu par la Police judiciaire (PJ) de Nancy. Il nie les accusations mais fanfaronne sans état d’âme sur ses antécédents. Sa femme, avec qui il a eu un enfant, confirme son alibi selon lequel ils étaient ensemble au moment des faits.

N’ayant aucune preuve à son encontre et malgré de forts soupçons, la PJ relâche Aiutino. A noter qu’à cette époque, la comparaison des empreintes ADN n’existe pas encore. Elle permettra d’inculper, pour la première fois, un autre grand serial killer, « le tueur de l’est parisien », Guy Georges, en 1997.

Course-poursuite à la frontière belge

25 février 1992. Bernadette Bour, visiteuse médicale de 41 ans, démarre une journée bien remplie où elle va à l’encontre de 22 généralistes. Le soir, son compagnon s’affole ne pas la voir revenir.

La liste des visites de sa dame en main, il contacte lui-même les 22 spécialistes jusqu’à tomber sur celui de Mont-Saint-Martin. Ce dernier lui confie que ce jour-là, dans la même salle d’attente que Bernadette Bour, patientait Vincenzo Aiutino venu consulter pour une bronchite.

L’homme en réfère immédiatement à la police de Longwy qui s’empresse d’aller cueillir « l’homme aux cinquante affaires », comme il est alors surnommé. Personne n’ouvre la porte.

Ses voisins mentionnent toutefois la présence d’une femme avec qui il serait rentré dans l’après-midi sans qu’ils ne l’aient jamais vu repartir. Aussi, ils expliquent avoir assisté à un manège assez troublant. De leur fenêtre, ils se demandent pourquoi Aiutino déplacent à plusieurs reprises une Peugeot 205… automobile qu’utilise la disparue.

En planque à la tombée de la nuit, des policiers tentent d’interpeller le malfrat de retour avec sa famille. S’en suit une course poursuite qui prendra fin à la frontière belge. Une commission rogatoire internationale est lancée pour solliciter la coopération des gendarmes belges.

Silence des Agneaux et pulsion en salle d’attente

Entre temps, le commissaire et ses hommes enfoncent la porte du domicile d’Aiutino et fouillent les lieux. Ils descendent dans la cave où ils dénichent une scène macabre : un espace aménagé avec canapé, chaîne hi-fi, des traces de sang sur les murs, une montre de femme, un pull-over et une barre de fer, tous ensanglantés.

Réfugié chez ses parents à Aubange, le suspect est mis en garde à vue et finit par avouer le dernier crime, assailli par les preuves. Il se serait inspiré du film, Le Silence des Agneaux, et détaille sa manigance. Envahi par une pulsion dans la salle d’attente du cabinet lorsqu’il sourit à Bernadette, il sort pour crever un pneu de sa voiture.

Décontenancée quand elle s’en aperçoit, Bernadette accepte l’aide d’un bon samaritain affable, sans se douter qu’un guet-apens lui serait tendu par un criminel. Ce dernier la conduit chez lui d’où il change la roue et lui propose de se laver les mains à l’intérieur…

Aiutino conduit les enquêteurs à l’endroit où il a déposé le corps de Bernadette et celui d’Isabelle Christophe.

Un psychopathe pervers incurable

Les signes avant-coureurs d’un tel déchainement de monstruosité avaient été notifiés quelques années plus tôt par un psychiatre.

Dans son rapport, il indiquait que le patient Aiutino était un psychopathe à dimension perverse, extrêmement dangereux, et surtout, incurable.

Ce diagnostic accablant établi alors qu’Aiutino n’a que 19 ans pousse les experts à ne pas « l’enterrer » définitivement.

Il faut dire qu’il n’a pas connu une jeunesse des plus normales et des plus fortifiantes. Aiutino déclare, entre autres, avoir évolué sous la coupe d’un père violent, qui battait sa mère et violait sa sœur.

A 7 ans, le petit Vincenzo met le feu à l’appartement. Il ne quittera plus l’engrenage qui le conduit au trafic de drogues, aux rixes, aux vols, à l’arrogance, à l’indiscipline, et à la perversité sexuelle.

Evasion de prison et cauchemar infini

Après une évasion folklorique de la prison d’Arlon et après avoir, en vain, tenté d’éviter son extradition vers la France et ses peines incompressibles, il comparaît devant la Cour d’Appel de Nancy.

Fier, draguant une journaliste de France 3 derrière son plexiglas, il essaye même d’en découdre avec Bertrand Le Nénan, qui lui a lancé un “Tu vas crever.”

Un cauchemar pour les familles qui les poursuit régulièrement : en guise de dédommagement et au vu des faibles revenus sur ses comptes, l’accusé, par l’intermédiaire de sa maison d’arrêt nancéienne, envoie des virements dérisoires, le plus souvent de 0,15 centimes aux parents des victimes.

Les relevés de compte des destinataires affichent comme expéditeur : « Vincenzo Aiutino. »