La coopération entre le Luxembourg et ses voisins émerge progressivement comme un « sujet politique » à part entière au sein de la Grande Région. Récemment, plusieurs sujets ont nourri l’actualité dans ce sens : une baisse tarifaire sur le rail pour les frontaliers résidant en Belgique a été annoncée en même temps que la construction d’un P+R, la question du cofinancement de nouvelles infrastructures de transport entre la France et le Luxembourg ressurgit 10 ans après l’arrivée du TGV Est – dernière « grande » réalisation commune –, les freins juridiques et fiscaux au télétravail font l’objet de discussions bilatérales, l’impact de la réforme fiscale sur certains ménages frontaliers a été mis en avant par les syndicats, poussant le gouvernement luxembourgeois à annoncer des aménagements. La liste n’est pas exhaustive.

Pour bien comprendre le contexte dans lequel ces sujets s’inscrivent, IDEA a souhaité, dans une étude récente(1), faire le point sur la nature des relations qu’entretient le Luxembourg avec ses territoires voisins, sous l’angle de la géographie économique. Une vue d’ensemble s’impose…

Une aire d’influence de près de 2 millions d’habitants

Il ressort notamment de cette étude que l’interdépendance entre les territoires frontaliers se renforce et que l’aire d’influence du Luxembourg en tant que « centre » économique continue de s’élargir, formant une « métropole » frontalière de près de 2 millions d’habitants.

Dans un mouvement de « métropolisation », le « centre » attire les actifs qualifiés, les activités économiques à forte valeur ajoutée mais fait face, entre autres conséquences négatives, à une hausse des prix immobiliers, à des difficultés de recrutement ou encore à une saturation de ses infrastructures. Les territoires environnants (ou « périphériques ») attirent quant à eux de nouveaux résidents désireux d’accéder à un foncier plus abordable et qui contribuent au développement d’une économie tournée vers les services à la personne.

Des aubaines et des risques partagés

Ce schéma de développement est à certains égards une « aubaine partagée » par le Luxembourg et ses voisins, mais il n’est pas sans risques. Le tableau ci-dessous tente de dresser un portrait des aspects positifs et négatifs.
 

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Des chercheurs du Luxembourg Institute of Socio Economic Research (LISER) ont par ailleurs mis en avant le fait que l’accroissement de la mobilité transfrontalière facilitée par l’ouverture des frontières n’a pas permis une convergence économique et sociale des différents territoires, qui voient au contraire leur trajectoire de spécialisation se renforcer, notamment en raison d’effets frontières persistants (différences de fiscalité, de droit du travail, des niveaux de rémunération, des prix du logement, etc.)(2).

A terme et en l’absence de mesures ciblées, cela pourrait mener à des tensions sociales entre résidents et non-résidents, entre frontaliers et non-frontaliers, voire favoriser les velléités de remise en cause de l’intégration européenne.

Quelle gouvernance à l’échelle de cette « métropole » ?

Le périmètre des territoires concernés par cette intégration renforcée est plus restreint que l’ensemble de la Grande Région, mais dépasse de 30 à 50 km les frontières luxembourgeoises. Il ne correspond a priori à aucune échelle de gouvernance existante.

La recherche d’un cadre de coopération suffisamment souple mais permettant de réunir tous les acteurs compétents dans les domaines attendus (transport, logement, fiscalité, formation, éducation, santé, tourisme, culture, etc.) relève du défi et il est peu vraisemblable que toutes les décisions échappent aux cadres de coopération « classiques » (Etat à Etat, Etat à Région/Land, Sommet de la Grande Région, réseaux de villes, etc.). Néanmoins, ce territoire qui concentre la plupart des échanges transfrontaliers gagnerait à faire l’objet d’un suivi particulier ainsi que d’expérimentations de nouvelles formes de coopération transfrontalière.

Mettre en exergue la « valeur ajoutée grand-régionale »

Pour que la Grande Région devienne un espace de prospérité partagée à moyen et long terme, il est également nécessaire d’aller plus loin que les politiques visant à fluidifier et accélérer la mobilité, certes indispensables, mais également insuffisantes.
Concernant le développement économique, l’un des défis qui se pose est celui de la recherche de « valeur ajoutée grandrégionale » : quels sont les domaines et les projets qui méritent d’être soutenus à l’échelle de la Grande Région et qui permettraient de dégager davantage de valeur ajoutée que si ces projets étaient développés séparément à l’échelle de leur pays ou de leur région respective ?

Le programme INTERREG V A Grande Région procède de cette logique. Il permet aux « membres » de la Grande Région de sélectionner des projets de coopération dans quatre domaines prioritaires et prédéfinis de manière commune : marché du travail, formation, mobilité (axe 1), environnement et cadre de vie (axe 2), amélioration des conditions de vie (axe 3), compétitivité et attractivité (axe 4) pour les soutenir financièrement, à condition qu’ils présentent une forme de « valeur ajoutée grand-régionale ».
Néanmoins, force est de constater que le programme reste confidentiel dans les moyens qui lui sont attribués : 140 millions EUR (issus uniquement de la Commission européenne, via le FEDER) pour une période de 7 ans, soit moins de 0,006 % du PIB de la Grande Région chaque année. Il est difficile d’en attendre un véritable effet de levier financier sur l’investissement stratégique, même si les bénéfices qui découlent des échanges de bonnes pratiques et de la création de réseaux d’acteurs ne doivent pas être sous-estimés.

Entre aménagement du territoire, cohésion et développement économique, la capacité des acteurs à décloisonner leur « territoire de référence » sera sans doute l’une des clés de la consolidation de la Grande Région.

(1) Fondation IDEA asbl, Idée du Mois n° 17, Se loger au-delà des frontières ? Luxembourg- Grande Région : je t’aime, moi non plus, décembre 2016.
(2) Durand F. (LISER), Decoville A. (LISER), Knippschild R. (IOER), Everything all right at the internal EU borders? The ambivalent effects of cross-border integration and the rise of Euroscepticism, présentation dans le cadre de la conference de l’Association for Borderland Studies, 2016.

Vincent Hein
Economiste Fondation IDEA asbl

 

(Article publié dans le numéro 85 d’Entreprises Magazine, septembre/octobre 2017.)

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