En novembre 2020, nous vous avions relaté l‘histoire d’Harold, gérant d’une salle de sport qui ne payait pas son loyer, son propriétaire lui avait pris sa garantie bancaire.

Coup de tonnerre au tribunal de paix de Luxembourg le lundi 25 janvier dernier. En effet, la justice a donné raison au cafetier qui réclamait, entre autres, l’annulation des loyers pendant la période de fermeture stricte administrative. 

Beaucoup ont pensé que cette décision serait marginalisée, rapidement mise à l’écart, cependant, c’est encore avec pragmatisme et humanisme que les juges ont donné raison à une salle de fitness le jeudi 4 février dernier.

En effet, la justice a entendu le locataire d’une salle de fitness, qui réclamait, entre autres, l’annulation des loyers pendant la période durant laquelle il avait été contraint de fermer totalement son établissement.

Cependant, les loyers restent dus pour les autres périodes soumises à restrictions, notamment pendant celles de couvre-feux. Ce fût également le cas dans l’affaire opposant le cafetier à son bailleur.

La portée de ces décisions pourrait donc être fondamentale pour le secteur de l’Horeca (Fédération nationale des hôteliers, restaurateurs et cafetiers du Grand-Duché de Luxembourg) ainsi que pour celui des salles de fitness, si elles venaient à être confirmées par un futur et éventuel arrêt d’appel.

Faire preuve de prudence

Ces décisions très récentes ne sont pas encore définitives. La voie de l’appel reste encore ouverte à l’une ou l’autre des parties durant 40 jours à compter de la notification du jugement. Dans ces deux affaires, bien que distinctes mais aussi étroitement liées, ce délai n’est pas encore écoulé. La décision pourrait donc être amenée à changer.

Un raisonnement pragmatique

En effet, les juges se sont d’abord arrêtés sur le mécanisme de l’exception d’inexécution prévu par l’article 1134-2 du Code civil qui permet à chaque partie à un contrat synallagmatique de refuser d’exécuter son obligation tant qu’elle n’a pas bénéficié de la contrepartie prévue.

Dans ces affaires, les bailleurs étaient dans l’impossibilité de garantir à leur locataire la jouissance paisible des lieux loués en raison de circonstances ne leur étant pas imputables (décisions gouvernementales).

Leur absence de responsabilité a donc incité les juges à se rabattre sur la théorie des risques découlant de l’article 1722 du code civil.

Cette théorie permet notamment, lorsque pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité ou en partie du fait de la survenance d’un cas de force majeure, de prendre les mesures adéquates (résiliation de plein droit en cas de destruction ou diminution du prix du loyer en cas de destruction partielle par exemple).

Cette théorie vise non seulement la destruction matérielle de la chose louée mais également sa perte juridique. Les juges ont retenu qu’il y a perte juridique dès qu’un cas de force majeure rend la chose louée impropre à la destination convenue entre les parties – condition remplie dès lors que le locataire ne peut jouir paisiblement de l’immeuble loué.

Dans ces affaires, la perte juridique ne présentant qu’un caractère temporaire, les preneurs n’ont été autorisés à se délier de leur obligation de payer leurs loyer et charges que pendant les périodes de fermeture stricte administrative. Les périodes soumises à de simples restrictions, telle que le couvre-feu, ne sont donc pas concernées.

A noter également que dans sa décision du 4 février 2021, le juge de paix a évoqué, et donc laissé une porte ouverte à la possibilité pour le locataire de solliciter une diminution de son loyer en dehors des périodes de fermeture stricte si des difficultés étaient alléguées et prouvées.

Une potentielle rétroactivité ?

Qu’en est-il des locataires qui ont en fait payé leurs loyers durant les périodes de fermeture stricte ? Pourront-ils prétendre à un remboursement ?

A la lecture du jugement du 4 février, on pourrait être tenté de répondre par l’affirmative dans la mesure où le juge appliquant la théorie des risques ne distingue pas suivant les capacités financières du locataire.

Le locataire qui n’a pas payé son loyer devrait donc pouvoir être délié de son obligation de paiement sans distinction : ce fut le cas dans les deux décisions commentées.

La situation serait toute autre pour un locataire qui aurait payé son loyer et qui souhaiterait en demander par la suite le remboursement.

Quand on paie, c’est en principe qu’on a les moyens de le faire.

Nous pensons donc que les locataires qui ont payé leurs loyer et charges durant les périodes de fermeture stricte imposées ne pourront revenir à charge vers leur bailleur que dans des cas extrêmes ; par exemple, s’il était établi qu’ils ont dû se sacrifier financièrement face à un bailleur intransigeant ou menaçant pour pouvoir le régler (recours à l’emprunt, endettement, découvert bancaire, etc…).

Sinon, il serait établi qu’ils avaient la possibilité de régler, grâce à leur trésorerie.

En définitive, d’un point de vue purement théorique et juridique, il serait possible d’obtenir un remboursement des loyers déjà payés en se basant sur le seul fait que ce règlement ait eu lieu pendant la période de fermeture stricte administrative.

Cependant, si on raisonne de façon pragmatique et pertinente, on comprend immédiatement que cela n’est pas réaliste.

Un débat qui n’a aucune frontière

Que ce soit le gouvernement belge, français ou luxembourgeois, aucun d’entre eux n’a admis la possibilité d’ordonner légalement la suspension du paiement des loyers commerciaux durant la période de crise.

Des mesures ont bien sûr été prises en ce sens, mais elles visent toujours à assurer la continuité des contrats en cours, privilégiant aussi la voie de la négociation entre parties qui doivent rester loyales l’une envers l’autre.

Certains pays privilégient la conciliation en invitant les deux parties à renégocier les stipulations contractuelles.

C’est ce qu’on appelle communément la théorie de l’imprévision : elle s’applique notamment en France mais toujours pas en Belgique ni au Luxembourg (il convient toutefois de préciser que la théorie de l’imprévision fait partie intégrante d’une réforme du droit des obligations belge actuellement envisagée et que nous sommes également dans une zone grise au Luxembourg sur ce sujet : de nombreux praticiens suggèrent une réforme nationale du droit des obligations).

Bien évidemment, les bailleurs ne sont pas toujours complaisants. Cet état de fait donne lieu à de nombreux conflits entre bailleurs et preneurs et ces derniers finissent par s’engager dans un bras de fer judiciaire avec leur propriétaire.

Cette situation singulière ne s’arrange pas forcément devant les tribunaux puisque nous constatons que les décisions divergent en fonction des pays voire même en fonction des villes – c’est notamment le cas à Liège et Anvers où deux affaires similaires ont abouti à deux décisions drastiquement opposées.

Compte-tenu de l’insécurité juridique qui plane sur ce volet, il faut donc être extrêmement vigilant quant à la portée de ces jugements nationaux. Il est tout à fait possible qu’une décision contraire voie le jour très prochainement.Cependant, il faut admettre que les juges semblent opérer un revirement en faveur des locataires et ce, nonobstant le type d’activité. Nous pouvons donc faire preuve d’optimisme et légitimement espérer qu’une telle décision s’étende à tous les secteurs d’activité.

Conclusion de l’affaire

Les plus pressés seront tentés d’ajourner leur loyer en période de fermeture imposée suite à ces deux décisions, mais il ne faut pas s’emporter trop vite. Il est conseillé aux différents exploitants d’agir de façon raisonnée, raisonnable et méthodique.

Que faire ?

  • en cas de nouvelle éventuelle période de fermeture stricte, de ne suspendre le paiement de son loyer que si on est réellement dans l’impossibilité absolue de le régler et donc d’éviter tout abus.
  • de tenter dans tous les cas d’entrer en discussion avec le bailleur afin de trouver un arrangement, un aménagement, ou de tomber d’accord sur une suppression ou une diminution temporaire du loyer. Un tribunal sera toujours sensible à une telle démarche.
  • d’être prudent car chaque situation est différente. En l’état actuel des choses, ce ne sont que les exploitants ayant subi une décision de fermeture stricte administrative qui sont concernés. A titre illustratif, même si cela fût très peu relevé par les différents médias, le cafetier opposé à son bailleur a néanmoins vu son bail résilié judiciairement en raison des impayés pendant la période hors fermeture stricte. De surcroît, il a été condamné à payer une indemnité de relocation. Tel ne fut pas le cas du club de fitness, le juge ayant rejeté la demande du bailleur en résiliation du bail alors que les loyers « hors Covid » impayés (ceux qui n’avaient pu être payés en dehors des périodes de fermeture stricte imposées par le Gouvernement) restaient dus mais venaient se compenser avec d’autres créances du locataire envers son bailleur.
  • de faire preuve d’humilité car cette situation a déjà vu le jour chez certains de nos voisins européens et cela a abouti à des décisions parfois contraires, voire totalement contradictoires. Des revirements au Luxembourg ne sont donc pas à exclure.
  • de prendre conseil auprès d’un professionnel.

En tout état de cause, les deux décisions présentées ne peuvent être que saluées dans la mesure où elles répondent à la détresse de certains commerces frappés de plein fouet, malgré eux, par les mesures étatiques édictées dans le cadre de la pandémie.

JURISLUX SARL

Me Pascal PEUVREL                                                         Me Brandon HOLTZHEIMER
Avocat à la Cour                                                                       Avocat à la Cour
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