La recherche d’amour par la langue. L’esperanto, projet pacifique né il y a un siècle et demi, portait avec lui des valeurs qui font défaut en ces temps d’instabilité et de regain de tensions entre les peuples.  

C’est d’ailleurs pour éradiquer ces dissensions, cette peur de l’autre, ou tout du moins cette incompréhension avec « l’étranger » que Ludwik Zamenhof, polonais de culture juive, mûrit son ambition.

Dans sa ville natale de Bialystok, où se côtoient des citoyens de plusieurs horizons (des locaux, des Allemands, des Russes, des Lituaniens…), le jeune homme déplore la défiance mutuelle.

Après l’obtention de son certificat d’ophtalmologue à Varsovie, il s’attèle en parallèle à la mise au point d’un outil à même de réunifier les « voisins ».

Un mix de l’allemand, du français, du russe…

En 1887, âgé de 28 ans, il publie « Langue internationale », paraphée « Doktoro Esperanto » (« Le docteur qui espère »). L’œuvre se veut une fusion du polonais, du français, de l’italien, de l’allemand ou encore du russe pour élaborer un dialecte compréhensible et utilisable par le plus grand nombre.

Certes, unifier des idiomes germaniques, latins et asiatiques s’avère être une chose difficile, pour ne pas dire impossible, à mettre en œuvre. Mais l’étendue des territoires sur lesquels résident des locuteurs de langues indo-européennes confère à l’esperanto un caractère indéniablement universaliste.

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150 heures de travail pour communiquer

Le concept élaboré par Zamenhof se révèle très aisé à comprendre pour les Européens. Il repose sur 16 règles grammaticales et une construction des termes élémentaires : les verbes se termines tous en « i » », les adjectifs tous en « a », les noms tous en « o ».

Les déclinaisons d’un statut à l’autre coulent de source. Les terminaisons en « as » correspondent au temps présent, les « is » au passé, les « os » au futur. Toutes les lettres se prononcent, à l’image de la langue russe, et chaque son correspond à une lettre.  

D’après un institut de langue, 150 heures de travail suffisent pour être en mesure de tenir une conversation, soit sept fois moins de temps que pour l’italien, dix fois moins que pour l’anglais et vingt fois moins que pour l’allemand.

Un Etat espérantiste à la frontière belgo-allemande

Un réel engouement se développe autour de l’esperanto. Si bien qu’un Premier congrès international se tient en 1905 à Boulogne-sur-mer et que l’idée de former un Etat espérantiste trois ans plus tard, dans la région du Moresnet, à la frontière belgo-allemande, fait son chemin.

Avant sa mort en 1917, Ludwik Zamenhof est nommé treize fois au prix Nobel de la paix. La Société des Nation envisage en 1922, « l’esperanto comme langue auxiliaire internationale. »

L’enthousiasme s’essouffle par la suite en raison des grands chamboulements du monde. Les deux guerres mondiales, la montée de l’antisémitisme (les élites refusant de se « rabaisser » à un invention juive) et la condescendance intellectuelle, au motif que l’espéranto ne représente pas une langue digne de ce nom (pas de littérature ni d’histoire), font retomber le soufflé.

Les mentalités évoluent ensuite et l’espéranto ne tombe pas pour autant dans l’oubli. De grands littéraires défendent ardemment ce modèle de volonté de partage.

Wikipedia et Google en esperanto

Les estimations font aujourd’hui état d’un socle de deux millions de locuteurs à travers le monde (bien plus que le vivier luxembourgeois), où ont fleuri une multitude d’institutions enseignant l’esperanto.

Depuis 2012, l’outil de traduction de Google comprend l’esperanto, une base Wikipédia (Vikipedio) compile plus de 200.000 articles, soit plus que la version grecque, comme l’indique la journaliste de Slate, Adrienne Rey, dans son papier “L’esperanto, une langue universelle en plein essor“.  L’application Duolingo propose par ailleurs l’apprentissage de l’esperanto.

Ce dernier se trouve même être la langue maternelle de plus d’un millier de personnes dans le monde. Le milliardaire philanthrope américain, George Soros, dont les fondations ont récemment quitté la Hongrie de Viktor Orbàn, est l’un d’eux.

Une langue universelle, artificielle, ne portant donc aucun caractère hégémonique, aisément assimilable par les Européens, ne serait-elle pas un début de réconciliation entre les peuples, ou en tout cas un instrument culturel fédérateur ?