Sibérien*, cadre dans une banque au Luxembourg depuis quinze ans a décidé de dire « haut et fort » ce que les personnes pensent « tout bas ». Oui, il en a marre et commence à se sentir fatigué par les mauvaises nouvelles qui s’enchaînent. Covid-19, inflation, hausse du prix de l’essence, guerre en Ukraine : « J’en ai marre, comme tout le monde »

Son moral n’est pas bon comme la majorité de ses collègues de travail qui sont, eux-aussi, épuisés. « On prend sur nous mais on voit que notre santé morale s’est clairement détériorée ».

Il confirme que sur les 100 salariés que compte son entreprise, près de 30% sont désormais en burn-out. « Personne ne parle du mal-être au travail, de la distance qui a isolé les salariés. Certains ont même pensé au suicide. Arrêtons de faire semblant, notre époque est dure ».

Tout le monde est à cran

Ce jeune homme avoue sans ambages que depuis mars 2020, début de la crise sanitaire, il télétravaille. Derrière son ordinateur, il a géré une vingtaine de personnes. Il reconnaît qu’il a pris sur lui…beaucoup et sûrement un peu trop : « Manager à distance une équipe en perte de vitesse et de motivation, ce n’est pas simple. J’ai moi aussi perdu la foi en mon métier d’encadrant ».

La crise sanitaire a été une épreuve pour ce cadre d’entreprise. Il a fait le bilan de cette période et reconnaît qu’il n’a pas réussi totalement le défi managérial : « Je n’ai pas réussi à maintenir en distanciel un esprit d’équipe. Les salariés se sont vite lassés des réunions par Skype. Ils ont dû mal à trouver un juste équilibre entre vie privée et vie professionnelle…Bilan de ces deux ans, tout le monde est à cran ».

Les talents partiront ailleurs

Depuis le début d’année, la perspective du retour au travail en présentiel a rendu les salariés nerveux. Pour les convaincus du bienfait du télétravail, revenir au Luxembourg est jugé « inutile ». Si bien que le thème devient désormais un sujet de discorde. Certains même menaçant de quitter l’entreprise : « Ce sont les talents qui partiront les premiers. C’est un véritable dilemme » précise le responsable, désarçonné.

Le bien-être des salariés est devenu une priorité dans l’entreprise. « C’est une avancée mais il faut se rendre à l’évidence que la situation a été anxiogène durant de longs mois. Les employés vivent encore dans le sentiment d’un danger permanent ».

La hausse de l’essence a plombé le moral

L’assouplissement des mesures sanitaires annoncé par le gouvernement luxembourgeois en février devait être une bouffée d’oxygène pour des milliers de salariés. Mais ce ne fut pas le cas. Tout d’abord, l’inflation a été un coup de massue. « Les conversations ne tournent qu’autour de la hausse du carburant et des biens de consommation du quotidien. Tout est cher » lance-t-il.

L’augmentation du carburant est d’ailleurs au coeur de toutes les conversations. La société est composée de près de 70% de frontaliers qui parcourent en moyenne près de 150 km de leur lieu de résidence à l’entreprise. « Certains m’ont déjà annoncé qu’ils ne reviendront pas parce que leur budget carburant va exploser ».

« Gagner plus pour dépenser plus, l’équation n’est plus rentable » lui a même lancé avec véhémence un salarié de son équipe. Celui-ci a même fait une demande auprès de la direction pour que l’employeur participe aux frais de transport. « On vous paie plus que dans votre pays d’origine, vous devez être en mesure de répondre aux aléas de la vie. Ce fut la réponse reçue de son responsable » relate Sibérien, agacé.

La guerre en Ukraine

Enfin, même si le conflit n’est aux portes des pays frontaliers, la guerre en Ukraine rajoute une ombre négative au tableau  : « Voir tous ces enfants et ces femmes arriver dans nos pays en tant que réfugiés, ce n’est pas drôle. Finalement, les salariés s’interdisent de se plaindre au vu de la situation mais il ne faut pas oublier malgré tout qu’ils sont à bout ; moi aussi ».

Sibérien* est un nom d’emprunt

Lire Nathalie, frontalière belge : « J’aurais pu tout abandonner face à l’incompétence de certains services »

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