Le législateur luxembourgeois a mis en place un dispositif de protection générale contre le harcèlement moral en matière administrative, en conférant aux fonctionnaires une protection garantie par l’Etat. En matière de droit privé, le législateur a délégué aux partenaires sociaux, par une loi du 30 juin 2004, le soin de définir les modalités de la lutte contre le harcèlement dans le cadre de conventions collectives.

Pour le moment, cette loi a surtout donné lieu à des déclarations de principe. En particulier, les parties signataires des conventions collectives du secteur bancaire et du secteur des assurances se sont engagées à veiller au respect de la dignité de chacun et à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et résoudre les actes de harcèlement en toute confidentialité. De telles dispositions n’ont cependant pas d’autre valeur que celle d’une déclaration d’intention, n’emportant pas de réelle obligation juridique à la charge de leurs auteurs.

Au courant de cette année, les syndicats OGB-L et LCGB, et l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) ont signé un accord relatif au harcèlement et à la violence au travail, afin de transposer en droit luxembourgeois un accord-cadre conclu par les partenaires sociaux au niveau européen le 26 avril 2007. Cet accord n’a pas plus de valeur contraignante que les déclarations de principe qui l’ont précédé, mais a tout de même le mérite de donner une définition claire et précise des actes constitutifs du harcèlement moral, qui sont ici distingués des actes de violence [définitions en encart].

Harcèlement moral : « agissements fautifs, répétés et délibérés commis envers un travailleur ou un dirigeant qui ont pour objet ou pour effet, soit de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, soit d’altérer ses conditions de travail ou de compromettre son avenir professionnel en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, soit d’altérer sa santé physique ou psychique. » 

Violence au travail : « agression d’un travailleur ou d’un dirigeant par un ou plusieurs agissements délibérés d’autrui qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à son intégrité physique ou psychique. La violence peut émaner de personnes relevant de l’entreprise ou de personnes externes. Elle peut se réaliser par un acte unique d’une certaine gravité ou par plusieurs actes de même nature ou de nature différente.»

Il faut souligner ici le fait que les partenaires sociaux ont entendu donner une interprétation large de la notion de harcèlement et de violence au travail. Ces définitions désignent en effet des comportements communément admis comme constitutifs de harcèlement tels que l’abus de pouvoir, les insultes, les calomnies, les humiliations ou les menaces répétées. Elle prend également en compte un certain nombre d’agissements qui ne sont bien souvent pas perçus comme du harcèlement par leurs auteurs tels qu’une absence totale de communication, une communication erronée ou contradictoire, une privation ou une surcharge excessive de travail, l’attribution de tâches non conformes aux compétences d’une personne, ou encore le dénigrement systématique de son travail. Elle comprend aussi bien le harcèlement vertical (exercé par un supérieur sur un subordonné ou inversement) que le harcèlement horizontal (existant entre deux personnes qui ne sont pas liées par un lien hiérarchique). Enfin, par l’insertion de dispositions relatives à la violence au travail, ce texte permet de prendre en compte soit des comportements non répétés, mais qui, par leur gravité, peuvent conduire à des effets similaires au harcèlement, soit des actes perpétrés par des personnes extérieures à  l’entreprise.

Cet accord a également l’intérêt de définir deux axes précis pour les employeurs dans la lutte contre le harcèlement moral, à mettre en place en concertation avec les représentants du personnel, à savoir la prévention et la gestion des actes de harcèlement et de violence :

la prévention des actes de harcèlement et de violence doit être matérialisée en premier lieu par une interdiction formelle de ces comportements, mais également par des mesures d’information et de sensibilisation. En fonction de la taille de l’entreprise, l’employeur pourra mettre en place des sessions de formation, identifier un interlocuteur compétent en matière de prévention et de protection contre le harcèlement et la violence au travail, et définir les procédures permettant aux victimes d’obtenir de l’aide. Une évaluation interne de ces mesures devra être mise en place afin de juger de leur efficacité et, le cas échant, de les adapter ou de les améliorer ;

la gestion des actes de harcèlement et de violence doit se traduire par l’instauration d’une procédure spécifique afin de garantir la confidentialité des plaintes, l’impartialité de leur traitement, le soutien des victimes et la sanction des agissements fautifs. Lesdites sanctions devront être prises en concertation avec les représentants du personnel et pourront comprendre des actions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

En dépit de leur précision, ces textes ne peuvent toutefois pas constituer une base légale propre à fonder une action en justice en raison de leur caractère facultatif. Pour déterminer les règles qui s’imposent aux employeurs, il faut donc se référer à la jurisprudence qui a dégagé un certain nombre de principes à partir des règles générales de la responsabilité civile.

Actions en responsabilité

Les principes généraux du droit des contrats prévoient que ceux-ci doivent être exécutés de bonne foi. Sur base de cette responsabilité contractuelle prévue à l’article 1134 du Code Civil, la jurisprudence luxembourgeoise considère que l’employeur a l’obligation d’assurer aux salariés des conditions de travail normales, ce qui suppose que celui-ci, en tant que seul détenteur du pouvoir de direction et d’organisation, prenne toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser toute forme de harcèlement moral ou de violence au sein de son entreprise. (Tribunal du travail 24 février 2009, n°803/09 du rôle).

Ainsi, même si l’employeur n’est pas à l’origine du harcèlement ou de la violence, sa responsabilité en tant que chef d’entreprise pourrait être engagée, de sorte qu’il a tout intérêt à prévenir et à sanctionner tout agissement de la sorte.

Dans le cadre d’une telle action, la victime doit rapporter la preuve des actes constitutifs de harcèlement ou de violence, un préjudice et un lien de causalité entre les actes fautifs et son préjudice. Si la preuve de ces trois éléments est rapportée, la victime peut demander que l’employeur l’indemnise de son préjudice moral et, le cas échéant, matériel et/ou qu’il fasse cesser les agissements en cause.

Par contre, la jurisprudence considère qu’en matière de harcèlement moral, une action en responsabilité à l’encontre de l’employeur ne pourra pas être retenue sur base des dispositions relatives à la sécurité et la santé des travailleurs au travail prévues aux articles L-311 et L-312-2 du Code du travail, qui disposent que l’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs et, dans ce contexte, qu’il est tenu de prendre les mesures nécessaires pour la protection des travailleurs, dans la mesure où ces textes visent à réglementer la problématique spécifique de la prévention des risques professionnels objectifs (Cour d’appel 10 juillet 2008, n°32397 du rôle).

Il y a encore lieu de préciser que la victime pourrait également attraire en justice l’auteur des agissements fautifs pour en obtenir directement la réparation financière de son préjudice, avec ou sans l’employeur, sur base d’une responsabilité délictuelle.

Marielle Stevenot et Cindy Arces
En collaboration avec Colomban de la Monneraye
Noble & Scheidecker, Avocats à la Cour

 

 

(Article publié dans le numéro 39 d’Entreprises Magazine, janvier-février 2010.)

Vous pouvez commander des exemplaires de cette édition à la rédaction d’Entreprises magazine, en téléphonant au (352) 40 84 69, par Fax : (352) 48 20 78 ou par courriel : [email protected].
Site web : www.entreprisesmagazine.com, 3 euros le magazine + les frais de port.