Les récentes perquisitions au sein de l’entreprise DENTRESSANGLE en France et à Luxembourg mettent en lumière les possibles dérives et les sanctions de la pratique illégale du cabotage : le travail dissimulé.

Le sujet est intéressant car il est au centre des difficultés d’harmonisation des pratiques et des législations des pays membres de l’Union Européenne. Certaines entreprises de transport routier ont la tentation de détourner la réglementation européenne dans le but d’amoindrir les coûts des masses salariales afin de parer au manque de compétitivité des entreprises françaises sur le marché européen.

Mais qu’est-ce que le cabotage ?

Définition :

C’est le fait de transporter des marchandises entre deux points d’un Etat sans y être établi.

Le Règlement CE 1072/2009 du Parlement de l’Union Européenne du 21 Octobre 2009 (établissant des règles communes pour l’accès au marché du T.I.M.R.) instaure une politique commune des transports entrainant l’élimination des restrictions à l’égard des transporteurs en raison de sa nationalité ou du fait qu’il est établi dans un Etat Membre autre que celui où les services doivent être fournis.

Cependant le règlement prévoit un régime transitoire de cabotage tant que l’harmonisation du marché des transporteurs routiers n’est pas réalisée.

Le règlement définit les transports de cabotage en transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un Etat Membre d’accueil dans le respect de plusieurs conditions :

Ces transports doivent être exécutés sous le couvert d’une licence communautaire et si le conducteur est ressortissant d’un pays tiers d’une attestation de conducteur.

S’il remplit ces conditions, le transporteur de marchandises est autorisé à effectuer des transports de cabotage à certaines conditions :

« Une fois que les marchandises transportées au cours d’un transport international à destination de l’Etat membre d’accueil ont été livrées, les transporteurs visés au paragraphe 1 sont autorisés à effectuer, avec le même véhicule, ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule jusqu’à trois transports de cabotage consécutifs à un transport international en provenance d’un autre Etat membre ou d’un pays tiers à destination de l’Etat membre d’accueil. Le dernier déchargement au cours d’un transport de cabotage avant de quitter l’Etat membre d’accueil a lieu dans un délai de sept jours à partir du dernier déchargement effectué dans l’Etat membre d’accueil au cours de l’opération de transport international à destination de celui-ci. » Article 8-2 du Règlement CE/1072/2009

Pourquoi avoir institué ces règles ?

L’idée est de permettre d’améliorer l’efficacité du transport de biens en éliminant l’obligation pour les conducteurs de rentrer chez eux avec des camions vides ce qui engendre une consommation de carburant et la production de CO² inutiles.

C’est donc une considération liée à la protection de l’environnement qui est à l’origine de la réglementation européenne.

Pourquoi les entreprises françaises comme JEANTET, HEINTZ, DENTRESSANGLE sont-elles poursuivies par les autorités ou ont-elles été condamnées ?

➢ Les pratiques illégales dénoncées :

Les entreprises établies hors de France faisant appel à des travailleurs qui exécutent un transport sur le territoire d’un Etat membre autre que l’Etat sur le territoire duquel il travaille habituellement (des polonais par exemple) ne peuvent le faire que pour un période limitée et en respectant certaines règles :

Directive 96/71/CE du Parlement et du Conseil du 16/12/1996

– Lorsque le salarié est détaché sur le territoire national pendant une durée supérieure ou égale à huit jours consécutifs, l’employeur est soumis à une obligation de déclaration de détachement.

Des conditions restrictives sont imposées lorsque le travailleur détaché exécute sa prestation pour un groupe ou via une entreprise de travail intérimaire :

Article 1-3 de la Directive du 16/12/1996

« Détacher un travailleur sur le territoire d’un Etat membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement »

« Détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un Etat membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement. »

Article 11 du décret du 19 Avril 2000
Article R 1263-3 du code du travail

➢ Les sanctions

Plusieurs sanctions peuvent être prononcées en justice :

– Le cabotage irrégulier (non-respect des conditions) : 7500 € d’amende,
– Le délit d’exercice illégal de la profession de transporteur (cabotage illégal – absence d’inscription au registre) : 1 an d’emprisonnement et une peine complémentaire : interdiction de caboter pendant 1 an,
– Le prêt de main d’œuvre illégal,
– Le travail dissimulé.

• Dans l’affaire « JEANTET », le Tribunal de Grande Instance de BESANCON a condamné le dirigeant pour travail dissimulé, car l’enquête de la DREAL a estimé que les salariés de la filiale slovaque relèvent du droit social français, que cette filiale n’est pas une véritable filiale mais une société écran.

Jugement du 18 Novembre

L’affaire est en appel.

• Dans l’affaire « HEINTZ », le dirigeant a été déclaré coupable d’exercice illégal de la profession de transporteur au motif que la société luxembourgeoise qui n’est pas inscrite au registre des transporteurs effectue de manière régulière et habituelle des opérations de cabotage sur le territoire français,

Arrêt Cour d’Appel de Metz du 14 Décembre 2011 confirmé par l’Arrêt de la Cour de Cassation du 30 octobre 2012

Ces entreprises ont méconnu soit les conditions du cabotage (exemple : nombre supérieur d’opération de déchargement) soit les conditions du détachement des travailleurs étrangers en faisant des montages complexes au sein des groupes de sociétés avec des filiales implantées en dehors du territoire français ou en faisant appel à des sociétés de travail temporaire implantées également à l’étranger.

Cette absence de respect des réglementations doit être sanctionnée car elle fausse le jeu de la concurrence et nuit aux intérêts des autres entreprises françaises qui respectent les règles du cabotage.

Quel est l’avenir du cabotage ?

Quel est l’avenir des entreprises françaises face à la concurrence des entreprises de pays comme la Pologne ou la Bulgarie ?

Il est prévu l’achèvement progressif du marché européen et l’élimination des restrictions imposées à l’accès aux marchés des Etats membres.

Article 6 du règlement CE du 21/10.

Un vote de la Commission Parlementaire sur les Transports en Janvier 2012 a décidé que toutes les restrictions sur les opérations de transport de marchandises effectuées dans un Etat Membre par les transporteurs routiers d’un autre Etat Membre européen (cabotage) devraient être levées d’ici 2014.

Les défenseurs au Parlement Européen de la libéralisation du cabotage affirment que la libéralisation du marché permettrait de faire baisser les prix des transports.

La Commission n’a pas encore fixé de date sur cette libéralisation, mais ce vote a levé de nombreux mécontentements au sein des parlementaires socialistes et des fédérations de transporteurs.

Ces derniers craignent qu’une telle ouverture de marché expose les entreprises à une concurrence inégale « mortifère ».

Devant l’importance des contestations, le porte-parole de la Commission de Monsieur Siim KALLAS a ouvert une vaste étude sur la situation de l’harmonisation des conditions sociales et fiscales dans l’Union Européenne avant de commencer à envisager la libéralisation complète.

Le rapport appelé communément « Rapport KALLAS » a été annoncé pour Mai 2012

Il est prévu au 31 Décembre 2013, la fin des restrictions pour les Roumains et les Bulgares sur le marché du travail.

Très récemment, la Fédération Nationale des Transports Routiers a annoncé que Monsieur KALLAS renoncerait à la libéralisation du cabotage.

Nous espérons qu’il en sera effectivement ainsi en 2014.

Maître Pascal PEUVREL
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Maître Anne PAUL
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