Murat (35 ans) tient un commerce de kebab à Luxembourg-Ville. Stambouliote de naissance, il quitte la capitale turque à 15 ans, et suit ses parents émigrés dans la région de Forbach. Ces derniers y montent un, deux, puis trois restaurants turcs.

Une dizaine d’années plus tard, après s’être fait la main pendant 5 ans dans les établissements familiaux, il décide en 2008 de voler de ses propres ailes et de monter son restaurant.

Un projet qu’il mûrissait depuis plusieurs années : “Tout petit déjà, je voulais être mon propre patron, comme l’avaient fait avant moi mon père et mon grand-père.”.

Dans la banlieue de Forbach, sa famille est déjà bien implantée. Pas question donc d’y ouvrir une 4ème enseigne. Plutôt que de tenter sa chance dans la Sarre limitrophe – il ne parle pas allemand – il opte pour le Luxembourg. Après plusieurs mois de prospection, il trouve un local dans la capitale et se lance.

Mon restaurant : une deuxième cantine

C’est rapidement le succès : “Les habitants du quartier, les lycéens, les employés de bureau, et même la Police, viennent manger chez moi. Pour certains, c’est devenu leur deuxième cantine,” plaisante-t-il.

Cependant, son projet est rattrapé par la récession : les prix des fournisseurs augmentent, son propriétaire en profite lui aussi pour accroître le loyer du local. Mais Murat tient bon : il décide de moderniser son restaurant et d’acquérir plus d’espace. Une façon de résister à la crise, et de préparer les jours meilleurs.

Rapidement, j’ai été obligé de relever mes prix, à contrecœur,” regrette-t-il. “Entretemps les charges et les salaires avaient eux aussi augmenté de plusieurs centaines d’euros.”.

Pour réduire les temps de trajets, et être plus souvent avec sa famille, il décide de se rapprocher de son commerce, et déménage avec femme et enfants à Thionville. “Si les loyers luxembourgeois n’étaient pas aussi chers, nous nous serions installés au Grand-Duché, “ précise Murat.

Un souhait qu’il n’abandonne pas : “J’aimerais bien vivre au Luxembourg ; c’est plus calme le soir, les infrastructures scolaires et culturelles sont très bonnes ; je m’y plais bien, on ne ressent pas d’hostilité envers les étrangers.“.

Racisme ordinaire

À Thionville, tout comme au Grand-Duché, lui et sa famille se sentent bien mieux intégrés que dans la région sud de la Moselle, où ils y ont subi le racisme ordinaire. Une des raisons pour laquelle ils ont décidé de partir. “Là, les gens sont pauvres, le chômage y est très élevé, et ils ont facilement tendance à rejeter la faute sur les étrangers. Même si, avec leur commerce, ceux-ci contribuent à l’économie locale, ” s’insurge-t-il.

Ce qu’il apprécie également au Luxembourg, c’est la clientèle : “plus respectueuse des commerçants et de leur travail.”. Ainsi que les facilités accordées aux entrepreneurs par l’administration : “Elle est plus disponible et plus compréhensive qu’en France ou qu’en Allemagne“, note-t-il.

“Si on a quelques soucis financiers, ou si on a laissé passer une échéance, on peut toujours aller les voir, leur expliquer notre situation, et trouver ensemble une solution. Le pays est vraiment plus ouvert au business.”.

Turc en Europe : pas toujours facile

Être Turc en Europe n’est pourtant pas si simple : tous les dix ans, lui et sa famille doivent faire renouveler leur permis de séjour. Auparavant la formalité était gratuite. Maintenant, il doit débourser environ 200 à 300 euros, pour obtenir le précieux sésame. Le document lui permet toutefois de circuler dans l’Union européenne, de résider en France et d’être entrepreneur au Luxembourg.

Selon lui, les événements actuels en Turquie, et les relations de celle-ci avec les pays d’Europe occidentale, hypothèquent pour longtemps les chances de son pays d’entrer dans l’UE.

Il opterait volontiers pour la nationalité française : mais certains de ses proches, résidant depuis plus longtemps que lui en France, en ont fait la mauvaise expérience : après avoir effectué toutes les démarches, et fourni tous les documents nécessaires, ils ont quand même essuyé un refus.

L’un d’entre eux a même décidé de prendre un avocat, pour faire valoir ses droits à la naturalisation, rapporte Murat. Moins d’un mois plus tard, il obtenait gain de cause. Malgré tout, ces déboires ne l’incitent pas à en faire la demande.

Retourner un jour au pays

D’autant que Murat envisage de retourner un jour au pays. Pour le soleil, mais pas que. En Turquie, il aurait un meilleur niveau de vie : “Surtout dans les grandes villes : un restaurateur gagne 30 à 40% de plus qu’au Luxembourg,” précise-t-il. “Tout est bien moins cher : les charges, les salaires, les loyers, les matières premières…“.

Avec un salaire minimum de 400 euros nets, contre 1.800 euros nets au Luxembourg, un salarié ne lui coûterait là-bas que 700 à 1.000 euros par mois, selon ses estimations. Les sandwiches se vendent entre 3,50 et 4 euros, contre 4,50 euros au Grand-Duché.

À Istanbul, un restaurant de kebab sert en moyenne environ 1.000 clients par jour, contre 300 à 400 ici. Là-bas, je travaillerais certes encore plus, mais je gagnerais aussi mieux ma vie,” indique-t-il.

Du rêve à sa réalisation, il y a cependant un grand pas. Il se donne encore 10 ans avant de quitter le Luxembourg : Le temps que ses deux fils terminent leur scolarité. Et si l’un d’eux souhaite rester au Grand-Duché, il espère bien que celui-ci prendra la succession du restaurant paternel.