Dans les prétoires, les robes noires constatent quotidiennement que l’ère 2.0 est parvenue à paupériser la liberté d’expression. La facilité, la gratuité, la rapidité, l’anonymat et la viralité sont tant de raisons valables pour conforter le sentiment d’impunité de celui ou celle qui derrière son écran à l’intention de nuire à autrui.

Le présent article traite exclusivement des propos et écrits tenus par les internautes autres que les journalistes.

Définitions

> La diffamation

Dans le contexte qui nous intéresse, la diffamation doit être une allégation ou une imputation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur où à la considération d’une personne. L’allégation doit être faite de mauvaise foi et être exprimée en public.

Au Grand-Duché du Luxembourg, la personne responsable de tels propos diffamatoires encourt une peine de prison allant de huit jours à un an et d’une amende allant de 25 euros à 2.000 euros. Si les propos diffamatoires sont de nature raciste, sexiste ou encore homophobe (etc.) la peine d’emprisonnement sera portée de 15 jours à six mois et d’une amende de 251 à 10.000 euros.

La diffamation publique est punie en France d’une amende allant jusqu’à 12.000€ et si elle a été prononcée à l’encontre d’une personne handicapée ou si elle présente un caractère raciste, sexiste, homophobe (etc.), l’addition s’élève à 45.000€ et à 1 an d’emprisonnement.

La loi belge sanctionne l’auteur de tels propos par une amende allant de 26 euros à 200 euros avec une peine d’emprisonnement de huit jours à un an. Le minimum de la peine sera doublé en cas de paroles de nature raciste, sexiste homophobe (etc.).

> L’injure

L’injure exprimée sur la toile doit prendre la forme d’une invective n’ayant aucun caractère précis tout en étant proférée à l’encontre d’une personne en public.

Au Luxembourg, la personne exprimant une injure publique encourt une peine de prison allant de huit jours à un deux mois d’emprisonnement et/ou d’une amende allant de 25 euros à 5.000 euros.

Cette infraction commise en public est punissable en France d’une amende allant jusqu’à 12.000 euros ou de 6 mois d’emprisonnement et de 22.500 euros d’amende lorsque l’injure est prononcée contre une personne handicapée, ou si elle présente une nature raciste, sexiste ou homophobe (etc.).

La législation belge réprime cette infraction d’une peine d’emprisonnement de huit jours à deux mois et d’une amende de 26 euros à 500 euros. Le minimum des peines est doublé lorsque cette infraction présente un caractère raciste, sexiste, homophobe (etc.).

✔ Observation : La différence essentielle entre la diffamation et l’injure réside dans la précision du fait imputé. Exemple de diffamation: En 2010, Mr X a été impliqué par les autorités luxembourgeoises dans une affaire d’abus de biens sociaux concernant la société Y en compagnie du célèbre trafiquant d’armes Mr XY. Exemple d’injure : Mr X est un voleur.

> Le dénigrement

Lorsque l’internaute jette publiquement le discrédit sur une personne dans le but de lui nuire, celui-ci peut voir sa responsabilité engagée pour dénigrement. La victime devra démontrer la faute de l’auteur, son propre préjudice ainsi que le lien de causalité entre les deux premiers éléments.

Ainsi, un restaurateur qui s’est vu injustement accusé sur un forum de servir de la viande avariée a engagé la responsabilité civile d’un internaute en ayant prouvé que ces propos étaient en lien direct avec la chute de son chiffre d’affaires.

La Cour de cassation belge a estimé que la libre appréciation de la qualité ou de la préparation des produits servis dans un restaurant est libre (Cass. 2e civ., 23 janv. 2003, n° 01-12848). Mais cette liberté de critique a ses limites puisque le dénigrement se caractérise notamment par le manque de prudence et d’objectivité, l’absence de faits précis, ou par la partialité des propos (Cass. 2e Civ, 8 avril 2004, n° 02-17588).

Exemples concrets jurisprudentiels

Le droit positif luxembourgeois est sans ambage, le délit de diffamation est acquis lorsque les propos sont proférés en public ou en présence d’un groupe de personnes. Alors qu’en France, si le caractère public fait défaut, le délit sera converti en simple contravention.

Sur ce point, tout est question d’interprétation du caractère public. Les juges luxembourgeois et français ont une appréciation différente de ce critère dans le contexte précis de la diffusion sur internet.

Ainsi, la Cour d’appel de Luxembourg a décidé dans un arrêt du 8 janvier 2013 que la rédaction de messages injurieux sur un mur facebook dont l’accès est limité à un petit cercle d’amis n’enlève en rien le caractère public de l’infraction.

Pour l’heure, les juges belges suivent le sillon tracé par leurs homologues luxembourgeois. Ils se sont d’ailleurs essentiellement prononcés dans le cadre du droit du travail, soit le plus souvent lorsque des salariés sont licenciés après avoir tenu des propos fautifs à l’encontre de leurs employeurs sur internet.

Ainsi, à propos d’un profil facebook avec un accès restreint et sur lequel figurait des propos injurieux à l’encontre d’un employeur, le tribunal du travail de Namur a ainsi simplement considéré que l’information avait été diffusée sur un réseau « ouvert », sans avoir égard à l’intention du responsable des propos de limiter l’audience de ceux-ci à son cercle « d’amis », pour déterminer la recevabilité des preuves des propos. (Trib. trav. Namur.2e ch., 10 janvier 2011).

Alors que les juges français considèrent que le caractère « public » peut très bien faire défaut sur internet lorsque les propos diffamatoires ont été postés sur un forum accessible seulement par les internautes inscrits sur le site concerné (Tribunal d’instance de Strasbourg, 9 juin 2006).

✔ Observation : Même si la teneur des propos tenus sur les forums et réseaux sociaux en tout genre sont à des années lumières de la rhétorique des salons littéraires du XVIIIème siècle, force est de constater que les paroles de Beaumarchais mises dans la bouche de Basile dans le Barbier de Séville sont toujours d’actualité à l’ère 2.0 : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! ».

Maître Saliha DEKHAR
Avocat à la Cour
Barreau de Luxembourg
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