Une ligne, deux conceptions du service public et un laissé-pour-compte : l’usager frontalier

La SNCF et la SNCFL (CFL) qui ont vocation d’assurer le transport ferroviaire sur leurs territoires respectifs mais aussi sur la ligne transfrontalière Nancy-Luxembourg sont soumis aux principes phares du service public.

Malgré l’existence d’une kyrielle de textes communautaires, de textes nationaux, d’un cahier des charges et d’autres contrats dits « de service public »  ces principes trouvent une application à géométrie variable à deux niveaux : entre les deux transporteurs (eu égard à la continuité, à la sécurité du service et à l’information des usagers) et entre les voyageurs des lignes  nationales, internationales et frontalières (au regard de l’indemnisation notamment).

La continuité s’entend par le fonctionnement sans défaillance et sans interruption du service. Il s’agit là évidemment d’une attente forte des clients des transports collectifs. Ce principe admet pourtant des limites relatives telles que l’exercice du droit de grève ou du droit de retrait. Ainsi, la directive communautaire  89/391 concernant l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs transposée dans le code du travail français, prévoit que le droit de retrait permet au travailleur « qui a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».

Encore faudrait-il qu’in concreto  que le droit de retrait s’exerce de manière régulière. Ainsi en février 2017 entre la première annonce du CHSCT (Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail) de la SNCF et la reprise « progressive » près de 3 semaines se sont écoulées sans qu’aucune motivation précise relative au défaut de sécurité ne soit donnée. Alors que visiblement du côté luxembourgeois, le service était maintenu sur la même ligne sans même évoquer la question de sécurité.

Vérité en deçà de la frontière, erreur au-delà.. ?

En tout cas la seule partie à payer le tribut du défaut d’information  demeure  le client qui est somme toute, aussi concerné par la sécurité de son transport.

D’autre part,  les usagers de la ligne 90 habitués aux postures contorsionnées aux heures de pointe apprécieront la lecture de  l’article 11 du cahier des charges du transporteur public français qui est supposé assurer au sein des « trains réguliers de voyageurs (…) des places en nombre suffisant (…) ».

Par ailleurs, le principe d’égalité de traitement entre voyageurs devrait normalement conduire les transporteurs publics à traiter de manière indistincte les usagers des lignes nationales, internationales et transfrontalières notamment sur la question épineuse de l’indemnisation. 

L’indemnisation hasardeuse de l’usager frontalier

La SNCF et la CFL ne se sentent pas liées  par le règlement communautaire du 23 octobre 2007 concernant l’indemnisation des retards et des suppressions de trains impliquant leurs clients transfontaliers munis d’un abonnement.

La « garantie ponctualité » mise en place en décembre 2016 par la SNCF prévoyant un dédommagement dès 30 minutes de retard ne s’applique pas au cas des frontaliers.

Quid du principe d’égalité de traitement des usagers sur ce point ?

Il existe des exceptions à cette notion d’égalité notamment en matière tarifaire, mais les juges français se sont toujours montrés pragmatiques en appliquant ce principe avec une logique égalitaristeconsistant par exemple, à imposer un tarif kilométrique identique sur l’ensemble des liaisons (Conseil d’Etat Arrêt du 10 octobre 2014).

Il serait donc intéressant que les juges français puissent être saisis de cette question de rupture de l’égalité de traitement des usagers en matière d’indemnisation.

A ce jour, le client ayant contracté un abonnement avec la SNCF est à la botte du « geste commercial » que serait susceptible de lui accorder l’établissement public. La récente loi française du 18 novembre 2016 qui permet désormais l’action de groupe devant le juge administratif devrait inspirer les associations de défense des droits des consommateurs et des usagers pour agir de concert concernant ces problèmes lancinants.

Maître Saliha DEKHAR 

Avocat à la Cour 

Barreau de Luxembourg 

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