Il s’est battu jusqu’au bout et a gagné. Après plus de 10 ans de bataille juridique, Bogdan Mihai Barbulescu a finalement eu gain de cause auprès de la Cour Européenne des Droits de l’homme (CEDH), qui siège à Strasbourg.

Cet ingénieur roumain en charge des ventes, avait été licencié par son entreprise en août 2007, au motif qu’il utilisait sa messagerie professionnelle à des fins personnelles. Lors de son licenciement, il avait été informé par son employeur, que ses communications sur Yahoo Messenger avaient été surveillées.

Pour preuves, ce dernier lui avait alors présenté 45 pages de transcription de ses communications, effectuées entre le 5 et le 12 juillet 2007. Ces notes reprenaient des messages que M. Barbulescu avait échangés avec son frère et sa fiancée, et qui portaient sur des questions privées, certaines revêtant un caractère intime.

Violation du droit au respect de la vie privée et familiale

Les juges de la Grande Chambre, l’instance suprême de la CEDH, statuant en appel d’une décision de 2016, ont rendu leur verdict ce mardi par 11 voix contre 6, qui donne raison à l’ingénieur. Ils ont tout d’abord conclu que la surveillance par un employeur, des communications électroniques de ses salariés, et l’accès à leur contenu constituait “une violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance) de la Convention européenne des droits de l’homme“.

Ils ont également reconnu que le salarié de l’entreprise privé “n’avait pas été informé de la nature et de l’étendue de la surveillance opérée par son employeur ni de la possibilité que celui-ci ait accès au contenu même de ses messages“.

Ils ont ensuite reproché aux tribunaux roumains, qui avaient à l’époque débouté l’ingénieur, de ne pas avoir “déterminé quelles raisons spécifiques avaient justifié la mise en place des mesures de surveillance” et de ne pas s’être prononcés sur “la possibilité pour l’employeur de faire usage de mesures moins intrusives pour la vie privée et la correspondance de Bogdan Mihai Barbulescu“.

Les autorités “n’ont pas ménagé un juste équilibre entre le respect de la vie privée du salarié et le droit de l’employeur de prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise“, ont-ils poursuivi dans leur arrêt.

Une décision qui fait jurisprudence

Avec cette décision des juges de la Grande Chambre, la CEDH revoit ainsi sa position sur la surveillance de l’utilisation d’Internet par une entreprise, et fait jurisprudence, au sein des 47 pays membres du Conseil de l’Europe. À la fois sur le degré de liberté de l’employeur dans la surveillance de ses employés et sur le licenciement d’un salarié suite à l’utilisation d’une messagerie professionnelle à des fins privées.

Informer les salariés, une nécessité

En France, “des exigences de sécurité, de prévention ou de contrôle de l’encombrement du réseau peuvent conduire les entreprises ou les administrations à mettre en place des outils de contrôle de la messagerie“, rappelle la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dans une note de décembre 2015.

Cependant, “les dispositifs de contrôle de la messagerie doivent faire l’objet d’une consultation du comité d’entreprise ou, dans la fonction publique, du comité technique paritaire ou de toute instance équivalente et d’une information individuelle des salariés“, poursuit la CNIL.

En outre, les salariés doivent être informés de la finalité du dispositif, ainsi que de la durée pendant laquelle les données de connexion seront conservées ou sauvegardées. Et en cas d’archivage automatique des messages électroniques, ils doivent enfin être avertis des modalités de l’archivage, de la durée de conservation des messages, et des modalités d’exercice de leur droit d’accès.