Cela peut être la mise en place au Luxembourg d’une stratégie du groupe : certains pays, comme les Etats-Unis, mais également en Europe, les Etats nordiques, ont développé une politique incitative en faveur du développement du télétravail, et les filiales luxembourgeoises promeuvent le télétravail en tant que part intégrante de la culture de l’entreprise mère.

Le télétravail peut avoir un certain nombre d’avantages, notamment en termes d’amélioration des conditions de travail : de moindres déplacements et surtout une diminution des temps de trajet, une meilleure qualité de vie et une diminution du stress, un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, voire dans certains cas une réduction de l’absentéisme. Cela peut également réduire les coûts pour l’entreprise, par exemple en diminuant les coûts des loyers.

Dans ce cas, pourquoi ne se développe-t-il pas plus au Luxembourg ? S’il est difficile d’obtenir des statistiques véritablement fiables et actuelles sur le développement du télétravail (ceci est en partie dû au fait que la définition du télétravail n’est pas uniforme), il existe des études au niveau de l’OCDE qui démontrent que le Luxembourg fait partie d’un groupe de pays dans lesquels la part des télétravailleurs est inférieure à 10 % et qui ont donc encore un effort important de sensibilisation à fournir, tant auprès des employeurs que des salariés.

Certes il y a des réticences de la part des employeurs, des salariés, voire des deux, qui ne sont pas intimement liées à la situation luxembourgeoise. Les freins au télétravail sont en effet multiples. A titre d’exemples :

• l’absence de réel cadre juridique : un accord entre partenaires sociaux existe, mais rien dans le Code du travail et encore moins de liens avec les autres codes. Par exemple, rien n’est prévu en ce qui concerne la répartition des responsabilités en cas d’accident du travail à domicile ;
• les freins culturels : le télétravail n’est pas toujours accepté comme une forme de travail à part entière par l’ensemble des collaborateurs. Par exemple, le télétravail est parfois assimilé à une absence (congés, maladie ou même chômage) ;
• la crainte de perte de pouvoir de contrôle des salariés pour les entreprises en mode de management présentiel plutôt que par objectifs ;
• les risques en matière de sécurité et de protection des données ;
• les risques d’abus…

Si certaines de ces réticences peuvent faire l’objet d’une impulsion politique nationale, la situation particulière du Luxembourg fait qu’un autre facteur empêche le développement du télétravail. En effet, avec une population frontalière supérieure à 40 % de l’emploi salarié, la question du travail à domicile entraîne deux risques supplémentaires. En matière d’affiliation à la sécurité sociale tout d’abord. Certes, le règlement européen de coordination (1) permet depuis quelques années à des salariés résidant dans un pays et travaillant pour un employeur établi dans un autre pays de continuer à exercer une partie de leur activité professionnelle dans leur pays de résidence tout en maintenant leur affiliation auprès du régime de sécurité sociale du pays d’emploi. La condition essentielle est que la partie du travail exercée dans le pays de résidence ne soit pas une part substantielle de leur activité professionnelle.

Concrètement, un salarié qui réside en Belgique et travaille pour une entreprise luxembourgeoise, et qui souhaite profiter de la politique de télétravail mise en place par son employeur sans risque pour la sécurité sociale ne doit pas travailler au moins 25 % de son temps de travail en Belgique. Ce pourcentage s’apprécie sur une période de 12 mois.

Une mise en place partielle est dès lors possible sans faire courir de risque ni à l’employeur, ni au salarié. En effet, une affiliation à un autre régime de sécurité sociale, en l’occurrence ici le régime belge, aurait des conséquences notamment financières importantes tant pour l’employeur que pour le salarié :

• d’une part, pour le salarié :

  • il devra payer les cotisations sociales belges, sensiblement plus élevées qu’au Luxembourg (le taux moyen pour un employé luxembourgeois est d’un peu moins de 12,45 % contre 13,07 % en Belgique) ;
  • en outre, étant affilié en Belgique, il ne bénéficiera plus des prestations sociales luxembourgeoises, qu’elles soient actuelles (remboursement des soins de santé au Luxembourg ou par sa mutuelle belge mais sur base du taux luxembourgeois, prestations familiales…) ou futures (pension de vieillesse, pension d’invalidité).

• d’autre part, pour l’employeur :

  • il devra affilier son salarié auprès de l’ONSS et y payer les cotisations patronales, nettement plus élevées qu’au Luxembourg où elles sont inférieures à 15 % en 2014 ;
  • en cas de maladie de son salarié, l’employeur est légalement tenu de continuer à payer sa rémunération jusqu’à la fin du mois au cours duquel se situe le 77e jour d’incapacité de travail au cours d’une période de référence de 12 mois. En effet, le droit applicable au contrat de travail reste le droit luxembourgeois. En revanche, l’employeur ne se fera plus rembourser les 80 % du salaire par la Mutualité des Employeurs puisque son salarié n’est plus affilié au Luxembourg.

Au niveau fiscal ensuite, la situation est plus problématique surtout parce qu’il n’y a ni harmonisation, ni même coordination en la matière. La situation doit donc être examinée au cas par cas, à tout le moins en fonction du pays de résidence du salarié concerné. A l’exception de la tolérance des 19 jours prévue dans l’arrangement administratif entre le Luxembourg et l’Alle- magne, la situation des résidents belges et allemands vis-à-vis du travail à domicile est identique : dès lors qu’un résident belge ou allemand travaille à domicile, il est imposable dans son pays de résidence pour chaque jour de travail. Si son employeur luxembourgeois applique correctement les dispositions de la loi fiscale, il devra donc l’imposer au barème journalier pour chaque jour presté au Luxembourg, et le certificat de rémunération reflétera la part salariale exempte au Luxembourg et qui sera donc imposée dans le pays de résidence. Quand on sait que ce pays imposera cette partie en tenant compte du revenu mondial du salarié, donc même du salaire déjà imposé au Luxembourg, il est évident de constater l’impact fiscal négatif pour le salarié qui souhaiterait utiliser cette possibilité.

L’augmentation des contrôles fiscaux des pays de résidence – l’actualité belge le confirme actuellement – constitue dès lors un frein extrêmement important pour ces entreprises.

Il est en revanche intéressant de constater que la situation des frontaliers français est quelque peu différente, non pas parce qu’il y aurait une plus grande tolérance des autorités fiscales françaises, mais, paradoxalement, parce que le texte de la convention bilatérale préventive de la double imposition ne suit pas le modèle – plus récent – de l’OCDE mais date de 1958 ! Ce texte pose pour principe que l’imposition reste au Luxembourg dès lors que l’ensemble des missions en France ne dépasse pas 183 jours par année – le décompte de ces jours ne se basant pas uniquement sur les jours de travail (2) – et que la rémunération reste supportée par l’employeur luxembourgeois. Une activité de travail à domicile, en moyenne un jour par semaine, reste dès lors sans impact sur l’imposition des résidents français.

Dans une région caractérisée par une mobilité transfrontalière si importante, il serait pertinent que les représentants des résidents de ces régions tentent de réduire ces obstacles majeurs au développement du télétravail. Cependant, il est clair que ces changements requièrent une prise de conscience de ces problèmes au niveau européen et que dès lors que le travail frontalier ne représente qu’à peine 3 % de l’emploi salarié dans l’Union européenne, il n’est pas évident que cette prise de conscience soit réaliste à court terme.

(1) Règlement (CE) 883/2004 du 29 avril 2004 entré en vigueur le 1er mai 2010.
(2) Voir à ce sujet les commentaires de la convention fiscale sur le site du ministère français des Finances – Bulletin officiel des finances publiques : http://bofip.impots.gouv.fr.

Joël de Marneffe Tax & Legal Manager SD Worx

 

(Article publié dans le numéro 69 d’Entreprises Magazine, janvier/février 2015.)

Vous pouvez commander des exemplaires de cette édition à la rédaction d’Entreprises magazine, en téléphonant au (352) 40 84 69, par Fax : (352) 48 20 78 ou par courriel : [email protected].
Site web : www.entreprisesmagazine.com, 4 euros le magazine + les frais de port.