Près de trois mois après cette « révolution », de nombreuses entreprises dressent un bilan assez positif et de nombreux salariés se réjouissent d’avoir trouvé un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle grâce au télétravail.

Avantages et désavantages du télétravail

Les avantages

Les avantages résultant de la mise en place du télétravail ou “home office” semblent évidents : diminution du nombre de déplacements, moins de bouchons sur les axes routiers, de pollution, d’accidents, de frais de déplacement, de stress. Mais c’est aussi plus de temps libre, plus de pouvoir d’achat et ainsi une meilleure qualité de vie pour l’ensemble de la population.

Les inconvénients 

Pourtant, le télétravail ne fait pas que des heureux étant donné qu’il n’est guère propice aux recettes des commerçants et des restaurateurs installés à proximité des immeubles qui avant la crise accueillaient les salariés.

Cette baisse, des chiffres d’affaires locaux, risque par ailleurs, de constituer un danger pour l’économie luxembourgeoise vue la situation particulière du Luxembourg et le nombre considérable de travailleurs frontaliers au Luxembourg.

Des partisans et des opposants 

Considérant l’ensemble des enjeux écologiques et ceux du bien-être des travailleurs d’une part et les enjeux économiques d’autre part, il est normal que les maintien et développement du télétravail mobilisent aussi bien des partisans que des opposants.

Traitements fiscaux et sociaux

Un autre enjeu, et pas des moindres, est relatif aux traitements fiscaux et sociaux résultant du télétravail pour les plus de 200 000 frontaliers travaillant au Luxembourg.

Les conventions 

Les conventions et accords signés entre le Luxembourg, la France, la Belgique et l’Allemagne permettent aux frontaliers de télétravailler depuis leur pays de résidence jusqu’à 29 jours (pour la France), 24 jours (pour la Belgique) et 19 jours (pour l’Allemagne) au profit de leurs employeurs luxembourgeois sans que la rémunération afférente ne soit imposée dans les pays concernés.

En cas de dépassement du seuil, c’est l’ensemble de la rémunération y afférente qui est imposée dans le pays de résidence.

Mesures fiscales exceptionnelles

Les gouvernements respectifs ont estimé que la situation de crise liée au coronavirus constitue un cas de force majeure et que la présence d’un travailleur à son domicile pour y exercer son activité, ne doit pas être prise en compte lors de la détermination de ces seuils, ceci jusqu’au 31 août et jusqu’à prolongation éventuelle.

Pendant toute cette période, les frontaliers conservent leurs statuts fiscaux sans avoir à se soucier des dispositions en vigueur dans leur pays de résidence.

Ainsi, à l’expiration des mesures spéciales liées à la crise du Covid-19, les situations fiscales et sociales des frontaliers continuant à pratiquer le télétravail dépendront des réglementations en place et risquent de changer.

Principe en matière sociale

En cas de travail dans un seul pays, il y a une affiliation à la sécurité sociale de ce pays.
En cas de travail dans plusieurs pays et > 25% de l’activité, l’affiliation se fait dans le pays de résidence,

  • Affiliation dans le pays de résidence.
    En cas de travail dans plusieurs pays et < 25% de l’activité dans le pays de résidence.
  • Affiliation au Luxembourg si tous les employeurs sont au Luxembourg,
  • Affiliation au Luxembourg si les employeurs sont au Luxembourg et dans pays de résidence
  • Affiliation dans le pays de résidence si les employeurs sont dans deux Etats Membres hors pays de résidence

Principe en matière fiscale

Les conventions bilatérales contre la double imposition prévoient l’imposition du salaire dans l’Etat où l’activité est exercée avec parfois des seuils de tolérance permettant de déroger à ce principe (règles de 19, 24 et 29 jours ou détachement).

Hypothèse : 1 jour de télétravail par semaine

  • L’affiliation à la sécurité sociale reste inchangée car <25% du temps d’activité.
  • Les règles de 19, 24 et 29 jours ne jouent pas et le salaire est imposable dans le pays de résidence.
  • La règle de 50 jours permet de bénéficier du régime d’assimilation au résident au Luxembourg et donc de ne pas être fiscalement pénalisé.

Hypothèse : 2 jours de télétravail par semaine

  • L’affiliation à la sécurité sociale se fait dans le pays de résidence car >25% du temps d’activité.
  • Les règles de 19, 24 et 29 jours ne jouent pas et le salaire est imposable dans le pays de résidence.
  • La règle de 50 jours ne permet pas de bénéficier du régime d’assimilation au résident au Luxembourg et il y a un risque de pénalisation fiscale au Luxembourg.
  • Le respect du seuil de 13 000 euros permettant de bénéficier du régime d’assimilation au résident est peu probable.

Petite particularité 

  • La convention belgo-luxembourgeoise permet dans la plupart des cas aux frontaliers belges de bénéficier du régime d’assimilation aux résidents et ainsi de ne pas être fiscalement pénalisé au Luxembourg. Il bénéficie ainsi d’un avantage réel par rapport aux autres frontaliers.

Quels sont les champs d’action possibles ?

✅ Au niveau de la réglementation internationale

La première piste difficile et peu probable à mettre rapidement en place mais qui aurait le mérite d’harmoniser l’approche de tous les Etats membres, serait de revoir les conventions internationales fiscales et sociales. Par exemple :

  • L’assimilation du télétravail et éventuellement d’autres prestations effectuées depuis l’étranger pour le compte d’un employeur à une activité exercée sur un site si certaines conditions sont remplies comme le business qui doit profiter au PIB du Luxembourg et les régions qui doivent être situées à une distance kilométriques maximale. Ces conditions permettent de contrôler l’importance du phénomène.
  • L’augmentation du seuil de la sécurité sociale à 50%.

✅ Sur le plan du droit interne luxembourgeois

La seconde piste semble plus facile à mettre en place et conforme à l’accord de coalition qui annonce notamment la volonté du gouvernement DP/Déi Gréng/LSAP de favoriser le télétravail. Elle permet d’éliminer ou d’assouplir les conditions d’accès à l’assimilation aux résidents (article 157 TER LIR).

Cette mesure permettrait d’ailleurs d’éliminer d’autres situations d’inégalité fiscale dont souffrent de nombreux frontaliers mariés.

Quel est l’avis de votre expert ?

Patrick van Landeghem, expert fiscal Optifisc, est d’avis que les majeures problématiques et injustices pouvant résulter du télétravail sont de l’ordre du fiscal et relatives aux droits internes nationaux.

Au Luxembourg, il suffirait de revoir ou de supprimer le seuil de 90% des conditions d’assimilation aux résidents afin d’établir une situation équitable et favorable au télétravail.

En ce qui concerne les conséquences fiscales et sociales définies par les textes internationaux, celles-ci me semblent assez cohérentes et ne dépendent que du choix volontaire du lieu d’activité du travailleur.

Bien évidemment, toutes les considérations écologiques, personnelles, fiscales et sociales sont importantes mais il ne faut pas oublier qu’elles sont toutes tributaires du maintien d’une économie saine et d’un budget national équilibré.

Un développement démesuré du télétravail au Luxembourg risquerait de mettre à mal la bonne santé du Luxembourg et risquerait d’ailleurs de créer un clivage entre les activités professionnelles compatibles et non compatibles à ce mode de fonctionnement.

Comme il est dit sagement, il faudra trouver une solution qui convient à la plupart sans qu’elle ne mette en péril la poule aux œufs d’or dont bénéficie aussi bien le Luxembourg que ses régions limitrophes.


Patrick van Landeghem
Expert fiscal Optifisc
Contact : [email protected]