C’est LE document le plus attendu de l’année sans doute. Et Georges Engel, ministre du Travail, vient de le poser sur la table : un rapport rédigées par six experts intitulé “Etat des lieux des enjeux et des risques de la
Réduction du Temps de Travail“. Ces 100 pages pouvant constituer le coin qui pourrait faire basculer le Luxembourg et ses quelque 504.000 salariés vers moins de 40 h de travail hebdomadaires à l’avenir…

Mais d’ici là, la route peut encore être longue, les oppositions ne manquant pas. Mais à la veille du 1er mai et à quelques mois des élections qui détermineront le futur projet de gouvernement, c’était le moment d’évoquer le sujet. « Une base pour des discussions futures », comme dit malicieusement le ministre socialiste. Partis politiques, unions professionnelles, syndicats et employés : à chacun de s’emparer du dossier.

1/ On travaille + au Luxembourg

Cela parait une évidence pour les résidents et frontaliers en poste au Grand-Duché, mais c’est là une vérité à prendre en compte. Avec 1.701 heures en poste par an, un temps plein au Luxembourg travaille plus que ses collègues allemands, français ou belges. Et cela même en tenant compte des repos et fériés proposés dans les différents Etats voisins.

Clairement, voilà un point qui pourrait être débattu. En effet, la législation luxembourgeoise prévoit pléthore de congés “exceptionnels” bien plus nombreux et de durée plus appréciable que dans les pays alentours. On pense aux congé pour raisons familiales ou, congé parental notamment. Sans parler des arrêts maladie que certains jugent moins contrôlés qu’à l’étranger… Donc au final, les “opportunités” de ne pas travailler seraient plus nombreuses au fil des mois et de la carrière.

2/ Les salariés y poussent

« Presque 2 résidents sur 3 réclament cette diminution du temps de travail », répète volontiers le ministre du Travail luxembourgeois. Georges Engel s'appuie là sur une étude de 2021. Il pourrait tout aussi bien évoquer le sondage annuel de la Chambre des salariés. Un "index" qui, cette année, soulignait que les salariés en poste au Luxembourg envisageaient bien la possibilité de ne plus travailler "que" 34,4 heures par semaine. Un rêve, en l'état...

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Mais clairement, au lendemain de la pandémie, le besoin d'équilibrer vie professionnelle/vie privée est remonté plus fortement dans les attentes des salariés. Notamment ici où les temps de trajet quotidiens, les limitations de télétravail ou un marché de l'emploi moins porté sur le temps partiel (18% des postes contre 42% en Belgique ou 37% en Allemagne) peut donner le sentiment aux uns et aux autres de ne consacrer leur journée qu'au travail...

3 / Des avantages certains

Réduire le temps de travail, c'est la marche du temps. Les bienfaits de l'automatisation ou de l'informatisation permettent cette RTT. Et les pays qui ont déjà activé ce levier ont pu constater certains avantages -plus ou moins prononcés- de cet allégement de la durée en poste : amélioration du bien-être des travailleurs (santé, état d'esprit), égalité des genres, partage de l'emploi (et donc baisse du chomage), croissance de la productivité des personnels en postes et meilleure compétitivité des sociétés.

A salaire mensuel égal, cela peut aussi avoir comme effets une hausse de la consommation des ménages, l'accès à plus de loisirs, rappellent aussi les chercheurs du Liser et de l'UNI qui ont mené cette étude. Par ailleurs, à l'heure, où l'attractivité du Luxembourg ralentit : mettre en avant un temps de travail atténué pourrait débloquer certains freins parmi d'éventuels candidats.

4 / Les périls sont nombreux

Diminuer le temps de travail n'est pas seulement un choix "horloger", c'est bien une question de « politique sociale et sociétale ». Baisser cette durée, est-ce demander aux entreprises luxembourgeoises de recourir à toujours plus d'heures supplémentaires ? Si oui, cela peut vite devenir coûteux et donc guère bénéfique.

La charge de travail répartie sur moins d'heures effectives ne va-t-elle pas déborder sur la sphère privée? Et cela d'autant plus facilement que le home office permet de s'acquitter de certaines taches "comme au bureau". Le droit à la déconnexion pourrait sortir "amoché" de la réforme.

L'application d'une RTT peut aussi se faire via une annualisation des horaires. Dans ce cas, les experts rappellent combien cela peut être « préjudiciable à une bonne conciliation entre la vie privée et professionnelle». Particulièrement si les horaires varient fréquemment ou que le salarié est amené à occuper des postes à horaires atypiques.

De plus, pour les salariés rémunérés à l'heure, moins de temps presté, c'est moins de paie à la fin du mois... Mais, en plus de l'application des index, les entreprises seront-elles volontaires à augmenter le salaire horaire à la mesure qu'elle réduise le temps de travail ? Rien de moins sûr, et ça peut se comprendre.

5 / Droit de suite

Incontestablement, l'étude portant notamment sur l'études conséquences des réductions de temps de travail au Japon, au Portugal ou en France constitue une première base. Mais rien de plus, à dire vrai. Seul le choix politique impulsera -ou pas- la volonté de descendre sous les 40 h hebdomadaires de travail. Le LSAP y est peut être favorable mais DP, CSV, ADR ou même Déi Gréng sont loin d'afficher les mêmes ambitions.

Même du côté des syndicats, OGBL et LCGB ne semblent pas partager le même point de vue. Les discours du 1er mai, au Grund pour l'un, à Remich pour l'autre permettront d'y voir plus clair.

Georges Engel, en tant que ministre, lui n'avait pas de feuille de route gouvernementale pour aller au-delà de la présentation de l'étude. Voilà donc le pavé lancé dans la mare. On n'a pas fini d'évoquer ses remouds... Le patronat a déjà lancé son 1er missile, le directeur de l'UEL déclarant : « Le travail s'organise au niveau de l'entreprise... entre l'employeur et ses salariés ».