Au Luxembourg, le recours à la sous-location commerciale est une tendance qui s’est banalisée eu égard au prix élevé du foncier et du marché de la location. Les juges de la Cour Constitutionnelle viennent de décider dans un arrêt du 23 décembre 2022 que le plafonnement légal du loyer d’une sous-location revient à restreindre de manière disproportionnée la liberté de commerce et de l’industrie du bailleur secondaire.

Genèse des faits

Une société locataire avait signé le 20 novembre 2001 un bail commercial pour un montant de 7 950 euros par mois, son loyer a été revu à la baisse en mars de 2018 pour ne payer plus que 5 000 euros. Entre-temps, un contrat de sous-location a été conclu le 14 juillet 2014 pour les mêmes locaux au montant de 16.000 euros renégocié à 14 500 euros en septembre 2017.

Or la loi du 3 février 2018 modifiant le Code civil (art. 1762-6 § 4) pose comme principe que le montant du loyer d’une sous-location ne peut pas être supérieur au loyer de la location principale, sauf si des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire ont été opérés par le preneur (locataire).

Le lièvre a été soulevé par le sous-locataire qui a donc réclamé en justice le recouvrement des loyers excédentaires. Le juge de paix de Esch-sur-Alzette, saisi de ce litige, a déféré à la Cour constitutionnelle deux questions préjudicielles relatives à la conformité de l’article 1762-6 §4 au précepte de liberté du commerce et de l’industrie ainsi qu’à la compatibilité avec le principe général du droit relatif à la sécurité juridique.

Maître Dekhar nous explique : « Pour simplifier cette problématique : la loi de 2018 interdit bien une sous-location plus onéreuse que la location (sauf s’il y a eu des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire), mais la Cour constitutionnelle Luxembourgeoise a décidé que cette prohibition était non-conforme à la constitution. Concernant la procédure, puisque la Cour Luxembourgeoise s’est positionnée : l’affaire est renvoyée devant le juge de Esch trancher cette affaire en recouvrement en tenant compte de la décision rendue. A ce jour le juge de Paix n’a pas encore rendu son jugement car l’arrêt de la Cour est très récent.. Mais la décision de la Cour fait jurisprudence ce qui veut dire, que les juges ne pourront normalement plus condamner une société qui fait de la spéculation jusqu’au prochain changement de loi. La balle est dans le camp du législateur luxembourgeois. »

La sous-location : source possible de spéculation immobilière ?

La réforme de 2018 avait pour but d’éviter les opérations spéculatives au détriment du marché de la location et du développement des activités commerciales industrielles et artisanales.

Même s’il est convenu que la lutte contre cette spéculation immobilière est un but d’intérêt général justifiant l’intervention du législateur ; la restriction telle que définie par l’article 1762-6 § 4 du Code civil demeure disproportionnée pour les juges constitutionnels.

En effet, le bailleur secondaire ne pourrait même pas couvrir ses frais d’exploitation incluant notamment les frais généraux et les frais administratifs, ni percevoir un bénéfice raisonnable sur l’opération économique en cause, or la liberté du commerce et de l’industrie comprend la liberté de fixer librement par voie contractuelle le prix des produits et services sujets à transaction économique.

La sous-location désormais plafonnée ?

Le législateur luxembourgeois doit donc revoir sa copie rapidement, car n’en demeure pas moins que la décision de la Cour fait jurisprudence et rend donc le prédit article du Code civil inopposable, puisque non conforme à la Constitution luxembourgeoise.

De facto, les bailleurs et les locataires reviennent donc à la situation antérieure à la réforme de 2018. En effet, avant cette loi, s’était créé un commerce parallèle à celui de la location, en particulier à Luxembourg-ville puisqu’il était monnaie courante qu’une société prenne en location plusieurs commerces pour ensuite les proposer à la sous-location à un prix plus élevé.

Logiquement le législateur devrait suivre les indications données par cet arrêt quant à la détermination du montant de la sous-location : à savoir la possibilité d’y inclure les frais d’exploitation du bailleur secondaire, tout en définissant la notion évasive de “bénéfice raisonnable”  à tirer d’une telle opération.

Article rédigé par : Maître Saliha DEKHAR  –  ETUDE SD LAW ( [email protected]  /   Signal - Icônes des médias sociaux gratuites 00352.661.129.005)

 

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