En matière d’assistance sociale, la générosité du Luxembourgeois n’est plus à démontrer. Sauf que l’abondance des aides possibles n’empêche pas le pays de se retrouver avec près de 20% de sa population en risque de pauvreté. Paradoxe que dénonce la Chambre des salariés (CSL) depuis plusieurs années. « Le Grand-Duché n’est donc pas un élève modèle, contrairement à ce que certains pensent encore », dénonce d’ailleurs la présidente de la Chambre.

Sauf que pour Nora Back, restait à identifier les causes exactes qui font que, même porte-monnaie grand ouvert l’État, n’arrive pas à sortir de situations financières difficiles une grande partie de ses propres résidents. « Travailleurs pauvres, familles monoparentales, étudiants, petits retraités : ils sont nombreux ceux qui souffrent malgré le système. » Avec le Statec et le Liser (institut d’étude socio-économique), la Chambre a donc décidé d’analyser l’origine du problème de ces allocations qui ne jouent pas suffisamment leur rôle.

Pourtant, sur le papier, la liste des aides est longue : Allocation de vie chère (AVC), Prime énergie, Revenu d’inclusion (Revis), Subvention de loyer, Crédit d’impôt monoparental, avance sur pensions alimentaires (Palim), épicerie sociale, etc. Mais d’abord par méconnaissance des dispositifs, difficulté des dossiers et incompréhensions des critères, attitude de l’administration, nombreux sont ceux des potentiel-lle-s bénéficiaires qui finissent par renoncer à leurs droits à un soutien.

Cible manquée

Ainsi, note Anne-Catherine Guio du Liser, « on peut estimer à 40% le taux de non-recours à l’Allocation de vie chère,  80% pour la subvention de loyer… » Et de pointer donc du doigts « des lois qui ont été pensées avec des objectifs louables mais dont certains articles finissent par limiter voire rater la cible à qui elles devaient venir en aide ».

Via une quarantaine de récits, Liser et Statec soulignent combien pour certains l’accès à l’information sur les “bouées de sauvetage” existantes est difficile. « Pour demander quelque chose encore faut-il savoir que cela existe », reprend Anne Franziskus du Statec. Un langage administratif trop complexe, l‘absence de traduction possible, des monceaux de documents ici qui seront différents là : la relation aidant-(possible) aidé tourne souvent au chemin de croix.

Et si l’accès aux aides s’avère tortueux, parfois cela finit même dans l’impasse. « Avoir alors une explication claire, faire opposition à la décision constitue souvent une nouvelle épreuve. Un obstacle qui, sur des personnes déjà malmenées par l’existence, s’avère synonyme d‘abandon des démarches », signalent les chercheuses.  Avec tout ce que l’a aura de nuisible voire destructeur sur la santé (physique, autant que moral), la capacité de logement, l’alimentation des requérants…

Sans oublier ces délais de traitement des dossiers excessivement longs par rapport à certaines détresses urgentes à palier. Le temps que le dossier soit validé et la situation du bénéficiaire se sera dégradée… « Enfin, souligne Anne-Catherine Guio, certaines conditions d’éligibilité en place constituent des sens interdits à nombre de cas qui étaient visés par la mesure. Le dépassement de quelques cents d’un plafond de revenu et c’est toute l’allocation qui est supprimée. Ou trop de conditions impossibles à cumuler dans la réalité pour obtenir l’obtention de quelques euros…»

« Si ça peut aider le gouvernement… »

Au-delà du constat, les auteures de l’étude et la Chambre des salariés ont souhaité aller plus loin. Émettant quelques recommandations qui permettraient sans doute d’améliorer l’efficacité du système social luxembourgeois. « Nous étions heureux d’entendre que le gouvernement faisait de la lutte contre la pauvreté sa priorité. Mais rien de concret ne s’est passé dans ce domaine depuis l’élection, c’est regrettable ! », grince au passage Nora Back.

Ces “pistes d’amélioration” débutent par un accès à l’information facilité. « Car c’est bien la première porte d’entrée aux aides qu’il faut mieux parvenir à flécher.» Viennent ensuite la simplification des démarches et éviter de doublonner les mêmes demandes d’une administration à l’autre.

« En cela, il est bon exemple à suivre en France : un Guichet unique où, après avoir fourni à un simulateur une liste de documents la personne sait à quelle des 58 aides potentielles elle a droit ». Bonne nouvelle : cette idée du Guichet unique fait partie du programme de la majorité gouvernementale CSV-DP.

Il conviendrait aussi d’alléger les modalités de réclamation, repenser certains critères d’exclusion et rendre les textes plus adaptatifs aux différents paliers de revenus ou pauvreté ; revoir pourquoi les étudiants sont quasiment en marge de la plupart des mesures d’assistance, etc.

Pour la voix du Liser, les organismes sociaux (et plus largement la société) doit veiller à ne pas adopter des comportements “pauvrophobes”. « Pour beaucoup de résidents, dans ce pays particulièrement aisé, se reconnaître en situation de besoin constitue déjà un échec difficile à avaler personnellement, à afficher face à son entourage, à surmonter pour oser monter un dossier d’aide alors si en plus, ici ou là, la personne a l’impression d’être stigmatisée, on va droit au clash !

5 profils de ménages luxembourgeois
exposés au risque de pauvreté