Je pense sincèrement que la marge des libraires belges était plutôt aux alentours de 25 à 30%, pour être exact. Mais ton explication reste valable.
Quand Amazon opère sur la diffusion de biens courants (électroménager, téléphonie, chaussures...), des produits de pure consommation à fort taux de rotation et de renouvellement de gamme, il se comporte comme ses concurrents directs, qui se battent avec les mêmes armes sur des enjeux purement commerciaux.
Les livres ont toujours été considérés, particulièrement en France, selon leur propre spécifité : des produits à valeur ajoutée culturelle. Les gammes sont importantes et "profondes" (l'oeuvre d'un romancier ou d'un historien, d'un auteur d'essais politiques...peut s'étaler sur des dizaines d'années), sont régulièrement sollicitée par une frange du lectorat, comme elles sont proposées par les recommandations des libraires. Les quelques 900000 et quelque références du FEL (fichier exhaustif du livre) en France représentent donc un patrimoine culturel et humain gigantesque et irremplaçable : il sort 40000 nouveaux "produits" chaque année, mais chacun d'eux (pas toujours mais très souvent) est rattaché à certains de ses prédécesseurs par des liens qui ne sauraient être restreints à des caractéristiques de prix, de performances, de rentabilité ("J'ai beaucoup aimé le dernier polar de Caryl Ferey, vous pouvez mme proposer quoi d'autre de lui? qu'est ce qu'il a écrit avant? Qu'est ce qui existe écrit par quelqu'un d'autre qui se passe aussi dans ce m ilieu là, mais moins violent? plus féminin? à l'époque du Moyen Âge? etc...).
Amazon, par son système de recommandations (nourri par algorythmes) parvient à faire cela. Mais il commence déjà à y avoir des secteurs où amazon n'a plus rien à recommander. Je m'explique : dans les années 2000, sur le marché américain du livre, déreglementé, Amazon s'est acheté une "bonne conscience" d'apparence en contactant tous les libraires indépendants américains. "Vous souffrez parce que notre concurrence sur les livres récents et les best sellers vous étouffe? Nous allons vous permettre de survivre en exposant sur Amazon, via MarketPlace, les ouvrages de fonds, pour certains introuvables ou faiblement diffusés, de votre stock, moyennant une commission de 15% que vous nous cédez sur vos ventes. Votre marché, désormais, c'est le Monde entier!" Les libraires s'y sont précipités. Six mois plus tard, la commission passait à 30%, plus des conditions façon "grande distribution" (participation aux frais d'hébergement, de transport...). Idem pour la pression mise sur les éditeurs (ça commence en Europe aussi) : taux de remise "à la massue", paiements à six ou neuf mois. Les libraires ont sombré,et avec eux, une partie du patrimoine qu'ils détenaient, romans, livres manuels, ouvrages divers et variés que plus personne ne voulait se risquer à rééditer. Ca commence en Europe : Exbrayat a été un auteur de romans à succès, plus de cents romans policiers, dont certains ont été adaptés au cinéma, à la télé ; son oeuvre est aussi passée entre les mains et a inspiré beaucoup de romanciers polars européens et américains. Amusez vous : regardez ce qu'il en reste sur Amazon. Mais vous pourrez encore les trouver chez certains libraires qui ont cultivé ce fonds. Ce n'est qu'un exemple, qui concerne des centaines d'auteurs, des milliers d'ouvrages.
Les enjeux sont complexes, à l'échelle de la société toute entière, il est "intelligent" de ne pas les négliger.
Business Model? Celui d'amazon est de tuer les autres. Le bénéfice de cette loi, c'est que les libraires indépendants puissent faire leur job, et répondre à ces enjeux.